La paix au Sud-Soudan: clé de la stabilité régionale
Par Raphael Obonyo

Malgré deux cessez-le-feu, des milliers de vies perdues et plus d’un million et demi de civils déplacés, les combats se poursuivent au Soudan du Sud, opposant les troupes gouvernementales aux forces de l’opposition. Le dernier cessez-le-feu – le second depuis le début des violences en décembre dernier - a été signé en mai entre le Président Salva Kiir et  l’ancien vice-président, Riek Machar.

L’essoufflement de l’engagement des deux dirigeants à résoudre pacifiquement leurs différends politiques met à l’épreuve la capacité des médiateurs à négocier un cessez-le-feu véritable . Mais depuis le début des combats, il est devenu clair que la plus jeune nation du monde a vu le jour avec de nombreuses lacunes institutionnelles internes. Si rien n’est fait, affirment les analystes politiques, cela pourrait mener à une refonte complète du paysage politique et économique de l’ensemble de la région.

L’étincelle à l’origine des combats actuels remonte à juillet 2013, lorsque le président Kiir a limogé M. Machar et l’ensemble de son gouvernement après un bras de fer prolongé au sein du Mouvement populaire de libération du Soudan (MPLS) au pouvoir. Après son exclusion du gouvernement, M. Machar a annoncé qu’il serait candidat à l’élection présidentielle de 2015.

Le 15 décembre 2013, après plusieurs jours de tensions croissantes au sujet de questions politiques, différents éléments de la Garde présidentielle ont engagé des combats dans leurs casernes à Juba, la capitale. Les combats se sont vite propagés au quartier général de l’Armée populaire de libération du Soudan (APLS) et à d’autres installations militaires. Le  16 décembre, les affrontements s’étaient étendus à des casernes aux zones résidentielles de la capitale, opposant supporters rivaux et entraînant des massacres et des violations des droits de l’homme à grande échelle. Depuis lors, cette situation s’est reproduite dans la plupart des régions du pays.

Un cessez-le-feu conclu en janvier a été bafoué au bout de quelques jours, avec la reprise des combats, tandis que les parties s’accusaient mutuellement de violer le cessez-le-feu. Après des mois d’intenses pourparlers de paix et de pression externe, un deuxième cessez-le-feu a été signé en mai, mais s’est lui aussi avéré  inefficace et les violences se poursuivent sans relâche. Selon les experts politiques, le conflit actuel s’inscrit dans le cadre du bras de fer politique qui oppose M. Machar au  Président Kiir. Le président a accusé son ancien adjoint de fomenter un coup d’État, tandis que M. Machar est convaincu que le président exerce des pouvoirs dictatoriaux.

Alors que certains analystes soutiennent que la violence est politique et non tribale, il est préoccupant de constater que le conflit obéit à des clivages ethniques, avec les Nuer soutenant M. Machar et le président, principalement soutenu par les Dinkas, le plus grand groupe ethnique du pays.

George Omondi,  chercheur associé au Forum africain de recherche et de ressources, basé au Kenya, est de ceux qui réfutent l’idée que les combats sont d’origine tribale. Lors d’un entretien avec Afrique Renouveau, M. Omondi a affirmé qu’il semble que M. Machar et son groupe estiment que le président renforce  le pouvoir autour de lui ; ils sont donc déterminés à lui barrer la voie.

« Ils veulent éviter que  Kiir ne devienne comme ces nombreux dirigeants africains qui, après l’indépendance, oublient la feuille de route nationale, » affirme-t-il.  Le combat actuel n’est pas nouveau, poursuit-il, surtout si l’on examine l’histoire du MPLS : en effet, en août 1991, M. Machar a tenté de renverser John Garang, le défunt fondateur du mouvement de libération du Soudan du Sud. On estime que 2 000  civils furent tués dans les combats qui s’ensuivirent.

Les analystes espéraient que le deuxième cessez-le-feu créerait les conditions propices à la tenue de débats entre les deux parties  sur la formation d’un gouvernement d’unité nationale de transition. Mais ces espoirs s’estompent désormais face à la poursuite des violences, suscitant des craintes que le bilan s’alourdisse encore dans l’un des pays les plus pauvres du monde.
Alors même  que les dirigeants  régionaux s’efforcent de ramener la paix, les deux parties continuent de s’accuser mutuellement de l’escalade de la guerre. Majok Guandong, l’ambassadeur du Soudan du Sud au Kenya, affirme que son gouvernement mène une guerre uniquement défensive. Il a confié à Afrique Renouveau que son gouvernement était « attaché à la paix et avait besoin du  soutien de tous  pour atteindre cet objectif », ajoutant que le  Soudan du Sud n’avait recruté les rebelles  que « pour assurer son autodéfense. »

L’importance stratégique du Soudan du Sud en Afrique de l’Est a ajouté un  caractère d’urgence aux efforts déployés au niveau régional pour mettre fin à la guerre. Il est à craindre que la guerre ne  dégénère en un conflit régional si l’on n’y prend pas garde, comme en témoigne la présence aux côtés du gouvernement de troupes ougandaises. Pendant ce temps, les relations du Soudan du Sud avec son voisin du nord, le Soudan, sont loin d’être  cordiales depuis que le Soudan a été divisé en deux. Les deux accords de cessez-le-feu, négociés  par les médiateurs internationaux, y compris les dirigeants de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) et soutenus par les Nations Unies et l’Union africaine, ont jusqu’à présent été incapables de mettre un terme aux combats. 

« Il incombe aux  pays africains de prendre des mesures rapides et décisives pour résoudre la crise au Soudan du Sud,  affirme M. Omondi.  Cependant, le monde doit aussi se rendre compte que le Soudan du Sud n’est pas différent des pays africains engagés dans la lutte contre l’autoritarisme. » La « crise humaine » que subit le  Soudan du Sud  a provoqué  une catastrophe humanitaire. « Les  Sud-Soudanais  sont les plus durement touchés par l’échec des tentatives d’arrêt des combats », a  affirmé le Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon dans une déclaration prononcée à l’occasion de la fête nationale du Soudan du Sud. « Ils vivent dans des conditions sordides, ont perdu leurs moyens de subsistance

et sont en proie à la faim, la maladie et l’insécurité. » Près de  100 000 civils ont cherché refuge dans les bases de l’ONU à travers le pays.
Le conflit a également mis en péril les efforts d’intégration régionale en cours et les projets infrastructurels conjoints dans la région. Mais selon M. Guandong, la crise n’aura qu’un effet temporaire sur l’admission du Soudan du Sud au sein de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), un groupe économique régional comprenant le Burundi, le Kenya, le Rwanda, la Tanzanie et l’Ouganda, car un accord a déjà été conclu pour ouvrir les négociations en octobre 2014.

Mais M. Omondi est d’un autre avis ; il soutient que, même avant la crise actuelle, il était clair que le Soudan du Sud ne remplissait  pas  les conditions minimales nécessaires pour rejoindre la CAE, notamment la mise en place d’institutions démocratiques. Des groupes de la société civile au Soudan du Sud ont demandé à la CAE de ne pas admettre le Soudan du Sud en son sein  jusqu’à ce que le pays devienne stable et démocratique.

L’intégration économique en Afrique de l’Est, comme dans d’autres régions du continent, reste  minime. La crise au Soudan du Sud compromettra probablement les plans du pays de construire avec le Kenya un oléoduc vers le port kényan de Lamu sur l’océan Indien. Avant la guerre, le Soudan du Sud engrangeait environ 7 milliards de dollars par an de recettes pétrolières. La poursuite des combats ne retardera pas seulement la construction de l’oléoduc, ainsi que d’autres projets d’infrastructure, elle pourra également accroitre le flux de réfugiés vers les pays voisins du Soudan du Sud.

Phyllis Kandie, qui dirige le Conseil des ministres de la CAE, a également exprimé la crainte que la guerre au Soudan du Sud ne compromette l’intégration régionale.

« Les  pays stables constituent des  entités régionales fortes. Il est par conséquent dans l’intérêt de la Communauté d’Afrique de l’Est que le Soudan du Sud reste stable. La guerre civile dans le pays pourrait porter atteinte à la cohésion sociale, la stabilité politique et la prospérité économique dans la région », a déclaré Mme Kandie, qui est aussi la responsable kényane  chargée des affaires est-africaines.

Le  problème étant politique, affirme M. Omondi,  la solution, elle aussi, doit être politique. Il faut au Soudan du Sud un accord qui ne s’appuie pas sur le partage du pouvoir. Cet accord devrait renforcer les institutions étatiques qui garantiraient des dispositions  transitoires. Mais pour trouver une solution rapide, M. Omondi suggère l’imposition de  sanctions . « Les sanctions favoriseraient l’instauration d’une trêve. Mais elles ne doivent pas être imposées par des pays occidentaux ou les États-Unis. Des sanctions imposées par les pays voisins du Soudan du Sud seraient plus efficaces», déclare M. Omondi.

Toutefois, M. Omondi admet que cette option est peu probable. L’IGAD, dit-il, insiste sur la solidarité entre  membres, craignant que les sanctions imposées à des pays amis  affectent les relations régionales. Ainsi, si le gouvernement kényan gèle les avoirs des dirigeants sud-soudanais au Kenya, cela pourrait compliquer le rôle crucial que joue  ce pays dans la résolution du conflit,  opinion partagée par de nombreux experts.

En fin de compte, le défi que doivent relever les pays africains est de veiller à ce que le plus jeune pays du continent trouve une solution à la crise actuelle et canalise son énergie vers le développement économique.  

Raphael Obonyo est l’un des jeunes diplomates du Forum diplomatique mondial et un conseiller externe auprès du Conseil consultatif de la jeunesse d’ONU-Habitat.
 
21 Octobre 2014

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