10 mai 2016 : journée nationale de la commémoration de l’abolition de l’esclavage
Communiqué de SOS Racisme


Depuis 2006, nous célébrons chaque 10 mai en France métropolitaine la Journée nationale de la mémoire de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions. L'occasion, une année encore, de rappeler l'impérieuse nécessité de se souvenir des millions d'Africains, mais aussi d’Amérindiens et Indiens, victimes de la traite qui sévit dans l’Atlantique et dans l’Océan Indien. L'occasion, aussi, de lutter contre l'oubli dont fait souvent l'objet ce lourd héritage historique. L'occasion, enfin, de commémorer l'abolition de l'esclavage en France. Esclavage reconnu comme un crime contre l'humanité depuis la loi Taubira définitivement adoptée le 10 mai 2001.

Les abolitions de l’esclavage et les mémoires

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 n’a pas aboli l’esclavage, contrairement à ce que l’on peut parfois entendre. Il faudra attendre un vote de la Convention en date du 4 février 1794, largement stimulé par les demandes de la Société des amis des Noirs (constituée en 1788) mais également par les nombreuses révoltes d’esclaves dans les colonies européennes, à l’instar de celle de Saint-Domingue entre les 22 et 23 août 1791. Toutefois, quelques événements viendront rapidement balayer cette victoire pour les droits humains. Des territoires comme Saint-Domingue et la Martinique seront très vite envahis par les Anglais, et seuls les esclaves de la Guadeloupe pourront jouir de l’application de cette Convention. En outre, l’abolition sera de courte durée : dès 1802, Napoléon Bonaparte, alors Premier Consul, rétablit l’esclavage. Ce n’est que le 27 avril 1848 que le député de la Martinique et de la Guadeloupe, Victor Schoelcher, signera le décret d’abolition de l’esclavage. Cette date marque la fin officielle de l’esclavage dans les colonies françaises. Les réalités officieuses sont évidemment plus complexes.

La mémoire n’est pas et n’a jamais été un élément homogène et objectif. L’activité consistant à se souvenir collectivement de faits passés n’est évidemment jamais neutre et est largement dépendante de réalités locales, historiques et contemporaines. Depuis la loi du 30 juin 1983, les DROM disposent d’un jour férié – défini localement – pour commémorer la fin de l’esclavage, jour férié toujours en application sur ces différents territoires. Mais ici encore, les contextes historiques locaux orientent des sélections mémorielles fluctuantes.

À la Martinique, la date de commémoration est le 23 mai, jour de l’application du décret de Schoelcher sur l’île. En effet, le décret du 27 avril 1848 ne prévoyait l’abolition effective et officielle de l’esclavage que deux mois après la signature de Schoelcher, et ce pour ne pas constituer une entrave à la récolte de la canne à sucre. Les esclaves réclamèrent une application immédiate du décret. Le 23 mai 1848, l’abolition de l’esclavage est mise en application en Martinique, libérant alors près de 75 000 esclaves. À la Réunion, les résistances des colons et esclavagistes ont empêché une application du décret pendant plusieurs mois, et les 62 000 esclaves de l’île n’obtiendront leur liberté qu’à partir du 20 décembre 1848. C’est cette date qui sera plus tard désignée comme jour férié par la Réunion. La Guyane, pour sa part, a choisi le 10 juin, date de la proclamation de l’abolition de l’esclavage sur l’île en 1848. Dans les faits, toutefois, l’abolition n’a pris effet pour les 12 500 esclaves de Guyane que le 10 août 1848.

Finalement, seules la Guadeloupe et Mayotte ont choisi la date du 27 avril pour commémorer l’abolition de l’esclavage. Elles l’ont toutefois fait pour des raisons différentes. En Guadeloupe, la date du 27 avril est effectivement une référence au décret de Schoelcher de 1848, le gouverneur de l’île ayant décidé d’abolir l’esclavage le jour de la signature du décret. Pour Mayotte, le 27 avril ne renvoie pas au 27 avril 1848 mais à l’année 1846. En effet, c’est le 27 avril 1846 que l’abolition de l’esclavage a été proclamée sur ces îles de l’archipel des Comores.

Ainsi, parler de commémoration en « France métropolitaine » n’est pas anodin. C’est bien que le 10 mai ne constitue pas la seule date dans l’ensemble des territoires français. Il reste toutefois un jour incontestable de commémoration et de contestation ; il a le mérite de célébrer l’abolition de l’esclavage et de renvoyer à une loi – celle du 10 mai 2001 – qui a permis d’ouvrir la voie à davantage de reconnaissance nationale des crimes relatifs à l’esclavage.

Le 10 mai

Avant le 10 mai 2006, date de la première Journée nationale de la mémoire de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions, il existait d’ores et déjà une commémoration en France métropolitaine : le 27 avril. Cette date renvoyait alors à la deuxième abolition de l’esclavage du 27 avril 1848 et avait été définie par un décret du 23 novembre 1983. Elle prévoyait notamment qu’une heure soit dédiée « dans toutes les écoles primaires, les collèges et les lycées de la République à une réflexion sur l’esclavage et son abolition ». Malheureusement, peu d’élèves – scolarisés entre 1984 et 2006 dans les écoles de la République – peuvent aujourd’hui clamer avoir assisté à de telles séances !

Le 10 mai 2001, la loi dite Taubira est adoptée en dernière lecture au Sénat. Cette loi, largement encouragée par la grande marche du 23 mai 1998 honorant les victimes de l’esclavage à l’occasion des 150 ans de son abolition, marque alors la reconnaissance des traites et de l’esclavage comme crimes contre l’humanité. Elle incite également à l’introduction dans les programmes scolaires des faits relatifs à l’esclavage et instaure la création d’un comité qui sera entre autre chargé de définir une date pour la commémoration de l’abolition de l’esclavage. Il faudra alors attendre cinq ans de débats au sein du comité pour qu’une décision soit enfin prise. En effet, entre les dates des différentes abolitions dans les anciennes colonies françaises, la date du 8 février initialement proposée par Taubira (en référence au Congrès de Vienne qui condamna la traite négrière dans une communication du 8 février 1815) et les dates des instances internationales, le choix était évidemment sujet à polémique. C’est finalement la date du 10 mai qui est retenue pour la France métropolitaine, en référence à  l’adoption définitive de la loi Taubira par le vote du Sénat.

Si la date métropolitaine ne fait toujours pas consensus, et si certains critiquent encore aujourd’hui de la démultiplication des commémorations, remarquons qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre ces différentes mémoires : elles font toutes partie d’un grand ensemble où des identités expriment la particularité de leurs cheminements historiques vers la liberté. Et le 10 mai marque alors la rencontre de ces identités et la jonction de leur force. En effet, la loi Taubira est loin de constituer la fin du combat pour la reconnaissance de l’histoire et des mémoires des Noirs de France. Elle est une brèche qu’il s’agit d’élargir.
 
Cette année 2016

En ce 10 mai 2016, nous commérons donc, comme chaque année, l’abolition de l’esclavage. Un collectif – notamment composé de SOS Racisme, de l’Association des Amis du Général Dumas, du Conseil Représentatif des Associations Noires (CRAN) et de la Fédération des Travailleurs Africains en France (FETAF) – a choisi cette date pour demander la transformation de l’Hôtel Gaillard à Paris en musée de l’esclavage.

Ledit Hôtel, désaffecté, appartient actuellement à la Banque de France. Alors que la Banque de France prévoit d’en faire une Cité de l’Économie et de la Monnaie (prévue pour 2018), nous souhaitons faire de ce bâtiment un Centre Dumas abritant un musée de l’esclavage et une maison des Outre-mer. En effet, ce bâtiment a été fondé sur le capital de la traite transatlantique et de l’Océan Indien. Il nous parait alors tout à fait naturel que ce bâtiment puisse être dédié à la mémoire des descendants des victimes de l’esclavage, mais aussi à la reconnaissance par tous et toutes de cet héritage, trop souvent relégué au second plan alors qu’il est toujours agissant et que, comme tout crime contre l’Humanité, il s’agit de travailler à la prévention de sa répétition.

Le Premier Ministre, Manuel Valls, s’est montré favorable à ce projet lors de la commémoration de 2015. Désormais, il s’agit de transformer l’essai et passer d’une hypothèse à une décision officielle.

10 Mai 2016

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