Lucas Belvaux : « Cette réforme du droit d’auteur va considérablement appauvrir la culture »
Par Euractiv

La réforme annoncée du droit d’auteur au niveau européen a soulevé une vague de protestation parmi les ayants droit, qui craignent la remise en cause de la chaîne de financement du secteur. 

Lucas Belvaux est un acteur et réalisateur belge. Avec le réalisateur français Costa-Gavras, le polonais Dariusz Jablonski, et le Britannique Peter Webber, le cinéaste belge s’est rendu à Bruxelles afin de défendre le droit d’auteur auprès des députés européens.

La Commission européenne a placé la réforme des droits d’auteur sur la liste de ses priorités pour l’année 2015. Qu’en pensez-vous ?
Je me demande pourquoi tout à coup c’est aussi urgent. Une réforme des droits d’auteur pour l’adapter aux évolutions d’Internet est certainement nécessaire, mais je ne vois pas en quoi cela serait prioritaire par rapport à une harmonisation fiscale ou une défense européenne. C’est un peu le monde à l’envers ! Et c’est un peu curieux, pour une fois que la culture figure en haut de l’agenda politique européen, que ce soit pour la démanteler.

Dans l’idée de la priorité, on sent une certaine urgence à réformer ce qui ne fonctionne pas. Or, le droit d’auteur c’est quelque chose qui fonctionne ! Il faut aller dans le sens du renforcement du droit d’auteur et pas le détruire pour inventer je ne sais quel système absurde.

Le secteur culturel est globalement très opposé aux pistes de réforme qui ont été évoquées jusqu’ici. Quels sont les points qui posent le plus de problèmes ?

Dans le rapport de l’eurodéputée Julia Reda, qui lance plusieurs pistes pour la réforme du droit d’auteur au niveau européen, il y a plusieurs problèmes à nos yeux. La proposition du « Fair view », par exemple, est un droit de citation qui fait que tout le monde peut s’emparer de morceaux d’œuvre et les utiliser comme bon leur semble sans demande préalable à l’auteur. Cela signifie que n’importe quel parti politique peut utiliser des extraits de chanson pour un clip de campagne, pour un clip en faveur d’un référendum contre l’immigration, etc. Je n’ai pas envie qu’on prenne des bouts de mes films sans mon accord pour en faire n’importe quoi !

Autre problème, la proposition pour réduire la période sur laquelle courent les droits d’auteur, qui serait de ramener de 70 ans après la mort de l’auteur à 50 ans, va à l’encontre des conventions internationales signées par l’Union européenne.

Enfin, il y a la possibilité pour des grands groupes Internet de diffuser des larges extraits de films sans demander ou payer les auteurs.
La question de la territorialité du droit d’auteur est également largement remise en cause dans ce rapport…

L’idée de mettre fin à la territorialité des droits est extrêmement grave. On serait obligés de vendre nos droits européens à un seul opérateur, qui s’occuperait de la gestion des droits d’un film. On ne pourrait plus diversifier nos interlocuteurs pour l’exploitation de nos films en salle et à la télévision.

Cela pose plusieurs problèmes. D’abord au début de la production d’un film, nous serons mis en position de faiblesse par rapport aux grands opérateurs paneuropéens, qui seront peut-être 4, 5 ou 6 et qui seront tous à peu près sur le même modèle : ils voudront des films consensuels qui peuvent se vendre.

Les réalisateurs travaillent généralement territoire par territoire en cherchant partout le meilleur opérateur qui sera intéressé par le film et qui connaît son public, les télévisions locales, et qui va se concentrer sur un marché précis.

Ce qui est certain, c’est que les meilleurs partenaires d’un film comme le mien ne seront pas les meilleurs partenaires d’un film comme Superman ! Et ce n’est pas sûr que les gros opérateurs qu’on nous propose seront intéressés par nos films, et surtout par tous les territoires européens !

Est-ce qu’ils seront prêts à faire une version sous-titrée en lithuanien avec le travail que ça implique et pour un marché relativement petit ? Certaines parties du territoire seront donc complètement abandonnées pour certains types de films. À terme ces films n’existeront plus du tout, et on risque un appauvrissement culturel considérable. Par contre, l’autre cinéma, celui qui se vend déjà très bien partout, se vendra probablement un peu mieux.

En ce moment on fait ce qu’on veut : on peut vendre une licence d’exploitation sur plusieurs territoires, comme on peut vendre pays par pays, on peut choisir. Donc, pourquoi interdire un système qui marche pour un système qui marche moins bien.

Le rapport de Julia Reda sur le droit d’auteur ne fait-il pas des propositions qui pourraient aider le droit d’auteur à évoluer ?

Ça fait des années que des gens travaillent – dans les sociétés de perception de droits, dans les sociétés de droit d’auteur, de cinéastes, de producteurs – pour trouver des solutions et faire avancer le droit d’auteur. Ce n’est pas quelqu’un qui n’y connaît rien au droit d’auteur et à la manière dont sont produites les œuvres qui va trouver en deux mois les solutions. Le rapport de Julia Reda est un florilège de proposition purement idéologique, qui fait un premier pas vers la culture gratuite.

En France, le droit d’auteur est notamment rémunéré grâce à la redevance sur la copie privée qui rapporte quelque 200 millions d’euros par ans aux ayants droit, beaucoup plus que dans la plupart des pays européens. Ce mécanisme ne doit-il pas évoluer pour s’adapter aux évolutions technologiques ?



La redevance sur la copie privée est très modeste pour le consommateur par rapport aux coûts de production des œuvres audiovisuelles par exemple. Mais il doit évidemment s’adapter aux évolutions technologiques : il faut taxer le Cloud !

Il ne faut quand même pas oublier que le stockage des données dans le Cloud devient gratuit pour les consommateurs et que ça ne rapporte rien à l’auteur, mais en revanche entre les deux, il y en a plein qui se sucrent : les opérateurs internet ou les géants américains gagnent de l’argent avec la production de gens qui ne sont pas rémunérés. Et tout le monde trouve ça normal !

Finalement le problème principal du droit d’auteur est celui du financement et du piratage ?

Oui, pourquoi on ne s’attaque pas à la question du piratage des œuvres ? Ce qui me gêne ce n’est pas tant le gamin qui va pirater un film pour le regarder gratuitement, ce n’est pas le consommateur le problème. Le problème c’est qu’entre le film et le consommateur, il y a de nouveau quelqu’un qui gagne de l’argent, et c’est lui le vrai pirate.

Lutter contre ça est beaucoup plus urgent que de réformer le droit d’auteur, car ce système a un impact économique beaucoup plus grave.

25 Mai 2015

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