Urgence pour la biodiversité : la sixième extinction est en marche
Par Jean-Paul Fritz - Publié le 10 juillet 2017 à 21h09


La "sixième extinction" qui menace la diversité animale et végétale dans le monde serait pire qu'on le pensait, selon une étude publiée ce lundi soir.

La sixième extinction. On pourrait croire qu'il s'agit du titre d'un film apocalyptique comme Hollywood en raffole, mais c'est avant tout une hypothèse avancée par des scientifiques qui étudient la biodiversité sur Terre. L'humanité, en s'appropriant la planète et ses ressources, a une influence importante sur son environnement, et elle est loin d'être positive : le taux d'extinction des espèces animales et végétales serait tel que l'on pourrait comparer l'époque actuelle à celles qui ont présidé à la disparition d'une grande partie de la vie sur notre planète, celles des extinctions massives.

On tend aujourd'hui à concentrer notre attention sur les espèces menacées, dont la liste est déjà imposante. Mais une étude publiée ce lundi dans la revue scientifique "PNAS" vient jeter un éclairage nouveau sur les disparitions d'espèces en s'intéressant également à celles pour lesquelles on n'avait jusqu'ici pas spécialement d'inquiétudes. Ses auteurs, Gerardo Ceballos, de l'université nationale autonome du Mexique, Paul Ehrlich (par ailleurs auteur du best-seller controversé des années 1960 "la Bombe P") et Rodolfo Dirzo, de l'université de Stanford (Etats-Unis), nous dressent le portrait d'un avenir proche pas très reluisant.

Avons-nous déjà tué la moitié des animaux ?



Pour ces scientifiques, ces espèces en danger d'extinction pourraient laisser penser que nous sommes seulement dans une période de réduction majeure de la biodiversité. "Cette vision néglige les tendances actuelles de déclin de populations et d'extinctions", affirment-ils. Les espèces en voie d'extinction seraient donc l'arbre qui cache la forêt des réductions du nombre global d'animaux (et par extension de plantes) sur la planète.

En étudiant un échantillon global de 27.600 espèces vertébrées, et plus particulièrement un groupe de 177 mammifères, les auteurs mettent en avant des diminutions de population ainsi que des réductions de territoire dans ces espèces, y compris pour les espèces de "préoccupation mineure" (celles que l'on ne considère pas du tout en danger).

Dans l'échantillon de vertébrés étudié, qui représente presque la moitié des espèces connues, 32% des populations animales ont vu leur nombre et leur territoire décliner. Les 177 mammifères pris en compte ont tous enregistré une réduction de leur aire géographique et plus de 40% ont connu des déclins sévères de population (plus de 80% de réduction). Des résultats suffisants pour que les auteurs parlent d'une "érosion anthropogénique massive de la biodiversité et des écosystèmes essentiels à la civilisation" et de menaces sur l'écosystème global, y compris sur les aspects indispensables à la survie de l'humanité.

Les auteurs de l'étude expliquent qu'aujourd'hui les extinctions de populations sont de plusieurs ordres de grandeur plus fréquents que les extinctions d'espèces. Cela veut dire que des groupes d'animaux d'une espèce donnée peuvent disparaître complètement d'une zone géographique, sans qu'il y ait pour autant une extinction de l'espèce en général. "Cependant, les extinctions de populations sont un prélude à l'extinction des espèces", préviennent-ils. Et elles montreraient que la fameuse "sixième extinction" est déjà plus avancée qu'on le pensait.
D'après ces scientifiques, au niveau du nombre d'individus, ce serait la moitié des animaux qui ont un jour partagé la planète avec l'humanité qui auraient aujourd'hui disparu, ce qui représenterait des populations de plusieurs milliards d'individus.

Pour les auteurs, le processus en cours pour les animaux étudiés aurait un équivalent comparable dans le monde végétal..

Vingt à trente ans pour agir ?



Peut-on encore empêcher l'extinction ? Les auteurs dénoncent la "fiction selon laquelle la croissance perpétuelle peut continuer sur une planète limitée". La "fenêtre de tir" pour une action efficace serait "très courte, probablement deux ou trois décennies maximum". Et ils ne sont pas très optimistes : "Tous les signes montrent des assauts encore plus puissants contre la biodiversité dans les vingt prochaines années, dessinant une image lugubre pour le futur de la vie, la vie humaine comprise."

La solution serait peut-être celle proposée par le géologue Mark Williams, de l'université de Leicester, auteur d'une étude récente sur la sixième extinction : "Il n'est pas besoin de blâmer quelqu'un pour ce qui est en train de se passer, car les humains n'ont pas volontairement planifié cette situation. A l'inverse, nous devons reconnaître que nous avons un impact qui change la donne sur cette planète, que nous sommes tous responsables et que nous devons être les intendants de la nature (étant une partie de celle-ci), plutôt que nous comporter comme des enfants saccageant un magasin de bonbons."

Le risque, c'est également que la théorie de la sixième extinction rencontre le même scepticisme que le changement climatique, et qu'il soit au moins aussi difficile de convaincre les nations qu'il faut agir pour l'empêcher. L'étude de Ceballos, Ehrlich et Dirzo aura peut-être le mérite de relancer le débat.

La sixième extinction, c'est quoi ?



Pour désigner la réduction de la biodiversité due à l'action humaine, la journaliste Elizabeth Kolbert a popularisé l'expression "sixième extinction" dans un ouvrage de référence, ce qui lui a valu le prix Pulitzer en 2015.

Ces extinctions d'origine humaine ne sont pas directement liées au changement climatique, même si celui-ci risque fort d'empirer les choses. La sixième extinction commence avec la disparition des mammouths à la fin de l'ère glaciaire, dont la chasse par les humains a pu être un facteur d'extinction. Elle englobe des espèces comme la tourte voyageuse, qui volait par milliards dans les cieux américains et qui a été chassée jusqu'à ce qu'elle disparaisse, à l'époque qui nous sert aujourd'hui de référence climatique pour la "température de l'ère pré-industrielle". Mais c'est surtout ces dernières décennies que le phénomène se serait accéléré.

L'extension des territoires urbains, la chasse, l'agriculture, les routes, la pollution... autant d'actions humaines qui ont peu à peu réduit, voire totalement supprimé les territoires des espèces et provoqué leur disparition. Les auteurs de l'étude publiée dans "PNAS" estiment que les causes immédiates de destruction sont aujourd'hui "la surpopulation humaine et sa croissance continue, ainsi que la surconsommation, particulièrement par les riches".

Si l'extinction d'espèces est un phénomène naturel, c'est la vitesse à laquelle elle progresse qui cause l'inquiétude de nombre d'experts. Selon une étude internationale publiée dans "Science" en 2014, les taux actuels d'extinction se situeraient aujourd'hui mille fois au-dessus du "bruit de fond" des extinctions normales, celles qui se produiraient naturellement en l'absence de l'espèce humaine, et ce chiffre pourrait être bien plus important.

Il est difficile d'estimer exactement le taux d'extinctions, car nous ne connaissons pas toutes les espèces de la planète, loin de là. On en découvre de nouvelles presque tous les jours. Le WWF a cependant tenté de calculer le nombre de disparitions d'espèces survenant chaque année. S'il n'y a que deux millions d'espèces sur la planète, estimation basse, alors nous en perdrions entre 200 et 2.000 par an. S'il y en a 100 millions, l'estimation haute, alors entre 10.000 et 100.000 disparaîtraient chaque année.

Les cinq autres extinctions



La plus proche de nous est celle du Crétacé-Tertiaire, voici 66 millions d'années. Un astéroïde tombant sur ce qui est aujourd'hui la péninsule du Yucatan et le golfe du Mexique provoque, entre autres, l'extinction des dinosaures, mais aussi celle des trois quarts des formes de vie sur la planète. Elle permet aussi ensuite l'expansion des mammifères.

L'extinction du Trias-Jurassique, survenue il y a un peu plus de 200 millions d'années, provoque elle l'extinction des trois quarts des espèces vivantes. La cause n'est pas connue avec certitude, mais nombre de scientifiques privilégient des éruptions volcaniques à grande échelle, qui auraient causé un réchauffement global ainsi que l'acidification des océans. Cette extinction permet ensuite aux dinosaures de dominer la planète.

L'extinction du Permien-Trias est la plus importante que la Terre ait connue. Voici environ 252 millions d'années, près de 90% des espèces animales et végétales disparaissent. Les coupables possibles seraient de gigantesques éruptions volcaniques (on a cité les trapps de Sibérie). Le gaz carbonique dégagé dans l'atmosphère provoque un réchauffement global qui élimine une grande partie de la vie sur Terre en moins de 20.000 ans.

L'extinction du Dévonien ne serait pas une "simple" extinction mais plutôt une série d'extinctions, qui se seraient étalées sur plus d'une vingtaine de millions d'années, il y a (environ) 375 millions d'années. Il n'y a pas de consensus sur les causes de ces dernières, mais une chute dans les niveaux de gaz carbonique a été constatée, allant de pair avec un refroidissement global. L'évolution des premières forêts aurait pu, selon certains, faire baisser le CO2 dans l'atmosphère et provoquer alors un refroidissement global et les extinctions, mais ce n'est qu'une théorie. Les trois quarts des espèces auraient été affectées.



La plus ancienne extinction connue est celle de l'Ordovicien-Silurien,  qui s'est produite voici environ 439 millions d'années. 86% des espèces ont disparu. Comme pour la précédente, il pourrait y avoir au moins deux événements distincts et séparés par des centaines de milliers d'années. Un refroidissement global en serait à l'origine, même si d'autres causes ont pu être évoquées.

11 Juillet 2017


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