|  
 Révolution 
              culturelle et économie
 Par 
              Ugustin Landier et David Thesmar
 
 
  
 Comme bien des hommes politiques, Nicolas Sarkozy croit à 
              la vertu quasi chamanique de la parole présidentielle, à 
              sa capacité de changer les mentalités et, donc, le 
              cours de l'histoire. Un peu comme le roi de France savait soigner 
              les écrouelles, le verbe présidentiel se veut une 
              médication active pour le pays. De ce point de vue, le sarkozysme 
              relève de ce que Max Weber appelait la « domination 
              charismatique »...
 
 La dimension technique des réformes passe, dès lors, 
              au second plan. C'est leur message symbolique, leur déplacement 
              des lignes culturelles, qui compte : on change moins les institutions 
              que les mentalités ; on supprime moins les avantages acquis 
              que les vieilles crispations statutaires. Admettons-le : la rupture, 
              ces derniers mois, ce sont souvent des réformes transgressives 
              en symboles mais marginales sur la substance, comme on l'a dit de 
              la réforme des universités ou de celle du contrat 
              de travail.
 
 La matraque à électrochocs culturels peut-elle tenir 
              lieu de politique économique ? Plusieurs études montrent 
              que les différences d'activité économique entre 
              pays ne dépendent pas seulement des institutions (par exemple 
              la loi) mais aussi des mentalités. La dimension culturelle 
              qui semble compter le plus est le niveau de confiance entre individus. 
              Statistiquement, les pays où la confiance est la plus forte 
              (comme par exemple les pays scandinaves, mais aussi certains pays 
              anglo-saxons) sont ceux qui croissent le plus vite, toutes choses 
              égales par ailleurs. La première raison est que la 
              confiance facilite les transactions économiques. La seconde 
              raison est qu'elle rend le fonctionnement des institutions plus 
              efficace. Dans les pays à forte confiance, les fonctionnaires 
              sont moins corrompus, le paritarisme est moins conflictuel et plus 
              constructif, le système judiciaire plus rapide et la fraude 
              plus rare.
 
 Or la France est l'un des pays développés dont le 
              niveau de confiance (entre citoyens, mais aussi vis-à-vis 
              des institutions) est le plus faible. Dans le marché, toute 
              transaction économique est entachée de la suspicion 
              qu'une partie gagne au détriment de l'autre. Dans le domaine 
              institutionnel, les corporatismes s'affrontent. Ce déficit 
              de confiance est un clair handicap pour notre pays. Rétablir 
              la confiance, par exemple entre universités et entreprises, 
              ou entre patronat et syndicats, constitue donc un objectif de politique 
              économique louable.
 
 
   
 Comment organiser le changement de mentalité ? Les psychologues 
              ont travaillé sur les mécanismes qui conduisent les 
              agents à changer d'opinion. De leurs travaux, on apprend 
              tout d'abord que les gens ne changent pas d'avis : nous avons tous 
              tendance à surestimer la validité de nos a priori 
              (excès de confiance) et tendance à mémoriser 
              prioritairement les informations qui confirment nos croyances initiales 
              (biais de confirmation). Il faut une contradiction majeure pour 
              nous faire réviser nos croyances les plus enracinées. 
              Par ailleurs, nous pensons par catégories (comme par exemple 
              « l'économie est en récession »), ce qui 
              limite notre aptitude à saisir une réalité 
              plus continue (après tout, quelle différence entre 
              une économie qui croît à - 0,1 % et une économie 
              qui croît à + 0,1 % ?). Cette catégorisation 
              du réel permet de comprendre pourquoi nous opérons 
              par à-coups de larges révisions de croyance, lorsque 
              les informations s'accumulent et nous forcent à changer brusquement 
              de catégorie ou de paradigme.
 
 Ces résultats suggèrent que, si le gouvernement actuel 
              veut déclencher une révolution culturelle, il doit 
              envoyer des signaux forts sur les échecs du système 
              actuel. Se féliciter des réussites de notre économie, 
              qui, après tout, en compte quelques-unes, ou contraster notre 
              performance du moment avec celle de l'économie américaine 
              qui traverse une crise majeure mais temporaire, est contre-productif. 
              Car c'est la foi dans l'ancien système et la conviction que 
              quelques rustines peuvent le réparer qu'on renforce alors. 
              Il y a quelques mois, François Fillon avait fait grand bruit 
              en dénonçant la « faillite de l'Etat ». 
              On y avait vu un propos outrancier et démoralisant. Mais, 
              contrairement aux apparences, il se pourrait que le levier rhétorique 
              de la « rupture » soit autant à Matignon qu'à 
              l'Elysée...
 
 UGUSTIN LANDIER est maître de conférences à 
              l'université de New York (NYU Stern) et DAVID THESMAR est 
              professeur associé à HEC.
 
 22 Janvier 2008
 
 Abonnez-vous 
              aux Echos
 
 Retour 
              à l'Economie
 
 Retour au Sommaire
 
 INFORMATIQUE SANS FRONTIERES • 
              contact/contact 
              us •
 
 |