Afrique : la zone de libre-échange prend forme
Par Justine Boulo,
correspondante du Point Afrique à Addis Abeba

Il est lointain ou illusoire pour certains mais le projet d'un marché commun africain se concrétise petit à petit... même si des obstacles de taille subsistent.

"L'intégration économique est la clé. Nous devons accélérer ce processus d'intégration." En parallèle du 24e sommet de l'Union africaine qui se tient à Addis Abeba, le Dr Anthony Mothae Maruping, commissaire aux Affaires économiques, a martelé ce message. Unifier les politiques économiques du continent est une stratégie prioritaire pour stimuler l'économie des 54 États. "On l'a vu dans d'autres régions : les taux de croissance évoluent bien plus rapidement s'il y a intégration. Il est urgent de diversifier notre économie, et nos marchés d'exportation", ajoute-t-il. Preuve historique : la crise de 2008, qui avait entraîné récession et envolée des prix des matières premières, a démontré la vulnérabilité de l'économie du continent africain, dépendante de ses ventes vers l'Europe, l'Amérique et l'Asie. Or les Nations unies estiment qu'au cours de la période comprise entre 2007 et 2011, la part des exportations intra-africaines était en moyenne de 11 %, contre 70 % en Europe.



Le libre-échange pour 2017 ?

L'African Free Trade Zone (AFTZ) est une sorte d'échappatoire à cette économie fragile. Afin d'intensifier le commerce intrarégional et de stimuler la croissance, le projet avait été lancé en 2008 par trois organisations commerciales est-africaines : la Communauté d'Afrique de l'Est (EAC), le Marché commun de l'Afrique orientale et australe (Comesa) et la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC). Lors de la signature de l'accord monstre, il y a sept ans, le président ougandais Yoweri Museveni déclarait que "le grand ennemi de l'Afrique a toujours été son incapacité à s'unir". De Tripoli au Cap, 26 pays accordaient enfin leurs violons.



Mais à regarder la carte, le division est flagrante. L'Afrique de l'Ouest et centrale, les pays du Maghreb n'ont toujours pas harmonisé leurs politiques commerciales. Les échanges intra-africains sont loin d'être homogènes. "Certaines zones ont développé leur commerce régional, comme en Asie du Sud-Est. D'autres, en revanche, sont loin derrière", regrette Anthony Mothae Maruping.Et pourtant, le projet sort discrètement de terre. Sans vrombir. Lors du Sommet de l'union africaine de 2012, le sujet portait justement sur l'intensification du commerce intra-africain. Les chefs d'État avaient réaffirmé leur engagement pour un véritable marché continental libre. Jean Ping, président de la Commission de l'époque, avançait même la date de 2017.


 
Une zone tripartite en mai

Fatima Haram Acyl, commissaire au Commerce et à l'Industrie, nuance : "Cette date sert d'indicateur. Notre objectif premier est qu'en 2017 nous ayons réuni tous les outils pour bâtir la zone de libre-échange." À deux ans du grand départ, des avancées sont déjà à noter. Les pionniers est-africains du projet inaugureront leur propre zone cette année. "La Comesa, l'ECA et le SADC sont déjà à un stade avancé, ils ont une feuille de route très claire. En mai prochain, au Caire, ils lanceront officiellement la zone de libre-échange tripartite. Nous sommes très fiers de ce progrès", indique-t-elle. Un trio d'organisations commerciales qui réunit 26 pays avec un produit intérieur brut global estimé à 630 milliards de dollars.



Tout est remis à plat

Un début prometteur. Mais dans l'ombre, la Commission continue de travailler d'arrache-pied pour étendre la zone de libre-échange à l'échelle continentale. Depuis 2013, un comité ministériel planche sur le projet de marché ouvert. "Ce comité a exigé que nous révisions les statistiques existantes, toutes les études économiques sur la zone de libre-échange", explique Fatima Haram Acyl. Par exemple, l'ECA a réclamé des échantillons de scénarios en fonction du taux de libéralisation du marché. Nous révisons la littérature pour parler le même langage. Ainsi, nous pouvons répondre aux inquiétudes des pays membres. Certains sont frileux à l'idée d'ouvrir leurs frontières. "Si j'ouvre mon marché, je vais perdre des revenus, car je dépends des douanes. Est-ce que je ne vais pas être avalé par un plus grand pays ? Et ce sont des questions auxquelles il faut répondre", ajoute-t-elle. Et de poursuivre : "En 2014, la Commission a engagé des consultations avec cinq des huit organisations régionales africaines reconnues par l'UA. Cette année, ils nous en restent trois : la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao), l'Autorité intergouvernementale pour le développement (Igad) et la Communauté des États sahélo-sahariens (CEN-SAD). Il est urgent de finaliser ces consultations pour lancer une feuille de route continentale d'ici le sommet de juin 2015."



Une batterie de barrières résiste encore

Un bon bout de chemin a été parcouru, mais beaucoup reste à faire. Avant de parler de commerce, l'Union africaine alerte sur la capacité même à produire. L'Afrique doit se concentrer sur "la diversification de sa base d’exportations. Une attention plus soutenue doit être accordée aux produits transformés", détaille le document de la Commission économique pour l'Afrique publié en 2012. Autres difficultés : l'attente aux douanes, qui prend en moyenne 12 jours en Afrique subsaharienne, contre 6 en Europe. Même refrain pour la circulation des marchandises. Les coûts des transports sont 63 fois plus élevés dans les pays africains que dans les pays du Nord.



Marché commun africain et Communauté économique africaine

Le continent n'a pas encore créé un climat favorable au libre-échange. Mais l'Union africaine garde en tête l'objectif du Marché commun africain (MCA) et de la Communauté économique africaine (AEC). "La commission de l'UA concentre ses priorités sur ces questions", assure Fatima Haram Acyl. Quant à la libre circulation des personnes, la commissaire s'interroge encore : "L'idée du passeport de l'Union africaine est sur la table. Peut-on délivrer un tel passeport pour permettre à nos citoyens de se déplacer ?" Au vu des crises et guerres civiles qui secouent le continent, une telle décision reste encore irréaliste.



17 Février 2015

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