Sur la piste de l'hydrogène
Avec le CNRS




En utilisant une substance type bicarbonate de soude, la digestion des eaux usées par des microbes peut produire de l'énergie sous forme d'électricité annoncent des chercheurs.

C'est l'impasse ! Pollution des villes, réchauffement du climat… Le scénario catastrophe est connu. Au rythme actuel, la température de la planète aura augmenté de 1,5 °C à 4,5 °C durant le siècle qui vient. Principale responsable : l'augmentation des émissions de CO2, essentiellement due à la combustion des énergies fossiles. Pire, après avoir provoqué l'asphyxie de la planète, ces énergies fossiles essentielles au fonctionnement de notre économie… disparaîtront ! Les ultimes barils de pétrole pourraient être pompés vers 2080, selon l'Institut français du pétrole. Moins polluant, le gaz naturel serait épuisé, à consommation constante, en une soixantaine d'années. « Il resterait encore assez de charbon pour alimenter la planète en énergie pendant plusieurs siècles, souligne Olivier Godard,  directeur de recherche au CNRS. Mais sa combustion dégage plus de CO2 que le pétrole. Au-delà de la raréfaction des ressources fossiles, un véritable problème écologique se pose tant que ne se produit pas une rupture technologique sur la capture et l'enfouissement du CO2 ou sur le type d'énergie utilisé dans les transports. » D'autant que les prévisionnistes annoncent un doublement de la consommation mondiale d'énergie d'ici 2040-2050. Que faire ?



La France, avec les autres pays européens, a déjà fait des choix. Signer Kyoto et stopper ses émissions de gaz à effet de serre. S'engager, avec l'Europe, à ce que 20 % de l'électricité provienne de sources renouvelables… « Ce qui ne devrait pas être trop difficile si l'on considère que notre pays produit déjà 15 % de son électricité avec de l'hydraulique », estime Olivier Godard. Certes. Mais cela suffira-t-il à réduire les émissions « alors que la tendance naturelle serait, pour le seul secteur des transports, une augmentation des émissions, à l'horizon 2020, des deux tiers par rapport à 1990 » ? Or, les possibilités d'installation de centrales hydrauliques en France sont pratiquement épuisées. Et la part des énergies renouvelables telles que le solaire, la biomasse ou l'éolien est, pour l'instant en tout cas, réduite à la portion congrue. Dans le domaine de la recherche, une autre énergie a le vent en poupe. Très abondante, plus énergétique que le pétrole ou le gaz naturel, ni polluante, ni toxique, elle pourrait, du moins en théorie, répondre à tous nos besoins. Son nom : l'hydrogène. Problème : si l'hydrogène, lié à l'oxygène, est très abondant sous forme d'eau, les molécules d'hydrogène, elles, ne se trouvent pas à l'état pur. L'hydrogène est un vecteur d'énergie et non une source. Il faut donc d'abord le produire, le stocker, et l'embarquer à bord des véhicules, ce qui suppose d'énormes contraintes. Au CNRS, les chercheurs s'attellent à lever ces verrous technologiques dans le cadre du programme Énergie.



Si l'hydrogène devait représenter une proportion notable des besoins énergétiques mondiaux, disons 20 % en 2050, les capacités de  production devraient être multipliées par un facteur de l'ordre de 25. C'est dire l'ampleur de la tâche. Aujourd'hui en effet, il est surtout utilisé comme matière de base par l'industrie chimique et pétrochimique. Sa production représente 1,5 % seulement de la production mondiale d'énergie primaire. Qui plus est, 95 % de cet hydrogène est produit à partir de dérivés des combustibles fossiles, par un procédé appelé vaporeformage, qui, en outre, rejette du CO2.

L'autre technique actuellement utilisée, l'électrolyse, permet de produire de l'hydrogène à partir de l'eau. Problème : sa décomposition par électrolyse nécessite l'apport… d'énergie électrique, que l'on doit produire par ailleurs. Du coup, le rendement global est médiocre : de l'ordre de 25 %.



L'idéal serait d'obtenir de l'hydrogène « propre » sans production préalable d'électricité, ni dégagement de gaz à effet de serre. Ce qui est théoriquement possible. Comment ? « Grâce à des microalgues », répond Jack Legrand qui coordonne un programme du CNRS à l'université de Nantes. Certaines algues vertes unicellulaires ou cyanobactéries sont, en effet, connues pour fournir de l'hydrogène par photosynthèse. À partir de l'énergie solaire et en utilisant de l'eau, elles donnent de l'hydrogène et de l'oxygène, sans dégagement de CO2. Le hic, c'est que dans la nature les microalgues produisent de l'hydrogène de façon transitoire. « Le processus est lié à la photosynthèse et conduit à un dégagement en parallèle d'hydrogène et d'oxygène, rappelle Jack Legrand. Or, l'enzyme de la microalgue qui permet la production d'hydrogène, l'hydrogénase, est fortement sensible à l'oxygène. Du coup, la production d'hydrogène s'arrête rapidement. » La solution ? « D'abord, jouer sur la flexibilité du métabolisme des algues, explique Jack Legrand. L'idée, c'est d'alterner les phases aérobies, pendant lesquelles la plante grossit en se constituant des réserves carbonées sur lesquelles elle va ensuite puiser pour produire de l'hydrogène en phase anaérobie. Mais, grâce à un switch métabolique, on va ensuite réussir à lui faire produire de l'hydrogène sans produire en parallèle de l'oxygène. » Dans un premier temps, il s'agira de mieux comprendre et d'améliorer les processus biologiques impliqués, puis de les mettre en œuvre dans un photobioréacteur. « Dans un deuxième temps, on pourrait même envisager de modifier génétiquement les microalgues, voire de mimer chimiquement uniquement le comportement de l'algue dont on a besoin, en s'affranchissant des limitations du vivant, s'enthousiasme Jack Legrand. Mais pour l'instant, on n'a aucune idée du rendement que l'on pourrait obtenir ainsi… »



Une autre piste pourrait être le craquage de l'eau grâce à un concentrateur solaire. En clair, décomposer l'eau en hydrogène et en oxygène uniquement sous l'effet de la chaleur en utilisant des cycles thermochimiques. Au four solaire d'Odeillo, des équipes du CNRS étudient cette éventualité. Mais il s'agit aussi d'une solution à long terme. « Elle ne peut être envisagée que d'ici cinquante à soixante ans, relativise Gilles Flamant du CNRS. Car elle pose des problèmes scientifiques importants : ça marche sur le papier mais, en réalité, beaucoup de cycles sont difficiles à réaliser complètement. En attendant de trouver une solution, on pourrait cependant faire du craquage de méthane. » Sous l'action du concentrateur solaire, le méthane se décompose en hydrogène et en… carbone. « Mais ce dernier pourrait être utilisé comme noir de carbone, lequel sert à fabriquer des pneus, des piles ou des polymères conducteurs, souligne Gilles Flamant. On aurait donc en prime un procédé de production propre du noir de carbone, alors que pour l'instant, il est produit grâce à la combustion partielle d'hydrocarbures. D'ailleurs, le craquage solaire du méthane fait l'objet d'une proposition de projet européen dans le cadre du premier appel à proposition du 6e PCRD1. »



Si la perspective de production d'hydrogène à grande échelle à partir d'énergies renouvelables semble donc lointaine, les piles à combustible elles, sont toutes proches de la commercialisation. Elles sont attendues vers 2005 dans le domaine du portable (ordinateurs, téléphones, caméscopes, matériels de camping, etc.), du petit stationnaire (électroménager, chauffe-eau, chaudière, etc.) et du transport public. Et autour de 2010-2015 pour l'automobile. Leur principe : à partir d'hydrogène et d'oxygène, on obtient de l'électricité, de la chaleur et de l'eau. Aujourd'hui six types de piles existent, mais l'une d'entre elles semble particulièrement prometteuse : la PEMFC (Proton Exchange Membrane Fuel Cell), ou pile à membrane échangeuse de protons. Elle pourrait être utilisée dans tous les types d'applications, pour alimenter tant des logements que des véhicules ou des portables. Problème, le coût : une pile à combustible coûte vingt fois plus qu'un moteur « standard » de voiture et douze fois plus qu'une chaudière « classique »… « On travaille cependant à le faire baisser, souligne Pascal Brault (CNRS-université d'Orléans). Pour la PEMFC, nous venons de breveter un nouveau procédé qui permet d'utiliser entre deux et cinq fois moins de platine aux électrodes, ce qui fait baisser le coût d'autant. L'astuce consiste à mieux répartir le platine sur l'électrode de façon à en mettre moins. » Cerise sur le gâteau : le procédé breveté utilise une technologie propre pour fabriquer les électrodes. « La pulvérisation plasma, avec des gaz chimiquement neutres, précise Pascal Brault, alors qu'actuellement un procédé chimique plus polluant est utilisé. Aujourd'hui, nous sommes à la recherche de partenaires industriels. »



Si le platine est cher, la membrane en Nafion, un polymère commercialisé par DuPont de Nemours, l'est encore plus. Elle représente  25 à 35 % du prix de la PEMFC. Or, justement, il serait bien d'en changer… « Un autre point faible de la PEMFC, c'est sa température de fonctionnement, un peu trop basse : 80 °C », relève Claude Lamy, directeur d'un groupe de recherche au CNRS et à l'université de Poitiers. À 80 °C en effet, la différence de température avec l'air ambiant est faible, ce qui impose des radiateurs énormes, difficiles à intégrer notamment dans une voiture. « L'idéal serait d'atteindre 120 °C. Mais les membranes Nafion sont incapables de fonctionner correctement à cette température. Si l'on trouvait de nouvelles membranes, fabriquées avec d'autres matériaux, qui fonctionnent à 120 °C, ce serait beaucoup plus simple, poursuit Claude Lamy. Et l'on ferait coup double : des piles qui fonctionnent mieux, avec des matériaux moins chers. » Plusieurs laboratoires du CNRS y travaillent.

À Nancy, les chercheurs se penchent sur la modélisation du cœur de pile. L'objectif in fine est le même : « analyser finement les transferts de fluides et d'énergie thermique et proposer de nouvelles solutions de gestion pour améliorer  le rendement de la pile et faire baisser son coût », résume Sophie Didierjean du CNRS. Le rendement électrique actuel d'une PEMFC est d'environ 40 %, mais il pourrait se rapprocher de 50 %. Énorme, par rapport à celui d'un moteur « standard » de voiture qui est de… 20 % ! Reste que pour alimenter les piles à combustible, il faut un réservoir d'hydrogène. Or, l'hydrogène est un gaz léger, volumineux, ce qui pose problème lorsque l'on doit en embarquer plusieurs kilos à bord d'une voiture. Jusqu'à présent, deux solutions sont appliquées sur les prototypes. La compression, qui permet de réduire le volume du réservoir. Mais plus on comprime, plus on doit augmenter l'épaisseur des parois et donc le poids du réservoir… Quant à la deuxième solution, la liquéfaction de l'hydrogène, elle permet certes de doubler les capacités de stockage, mais elle consomme environ la moitié de l'énergie contenue dans l'hydrogène, juste pour le maintenir à la température à laquelle il devient liquide !



Pour sortir de ces dilemmes, deux alternatives sont étudiées. Dans leur principe, il s'agit de matériaux qui se comportent comme de véritables éponges, capables d'absorber l'hydrogène et de le restituer à volonté : les hydrures – c'est-à-dire des alliages de métaux – et des nanostructures de carbone.

« Les hydrures sont sans doute plus proches de l'application concrète, notamment pour les applications stationnaires, estime Annick Percheron-Guégan du CNRS. Ce sont des matériaux bien connus, qui ont une bonne capacité de stockage : deux fois supérieure en volume à celle de l'hydrogène liquide. Nous avons d'ailleurs un projet, dans le cadre du réseau technologique PACO pour tester, d'ici trois ans, l'un de ces réservoirs à hydrure, qui alimentera une pile PEMFC pour des applications domestiques. » Reste que les hydrures ont un inconvénient : ils sont lourds. Ce n'est certes pas gênant pour les applications stationnaires. Mais pour les véhicules, le rapport de la masse d'hydrogène stockée sur la masse totale du système, ce qu'on appelle la performance massique, est faible : 3 % seulement. Or, l'objectif à atteindre, la norme du Department of Energy américain (DOE), est de 6,5 %. « Nous avons cependant une piste pour alléger nos hydrures : élaborer un alliage avec un matériau plus léger : par exemple du magnésium », précise Annick Percheron-Guégan.



Les nanostructures en carbone n'ont pas cet inconvénient. « Des simulations numériques montrent même que l'on pourrait atteindre une performance massique de 8 %, avance Alix Gicquel du CNRS. « Nous sommes cependant toujours à la recherche du matériau idéal présentant la meilleure structure : aujourd'hui les nanofibres semblent plus intéressantes que les nanotubes », relève Alix Gicquel. Ensuite, il faudra maîtriser le procédé de production. À Villetaneuse, son laboratoire commence à faire pousser des nanotubes avec un nouveau procédé à plasma. Au four d'Odeillo, Gilles Flamant utilise des concentrateurs solaires. Mais les réservoirs en nanocarbones comportent un désavantage : ils fonctionnent à des pressions relativement élevées…

Au-delà des verrous technologiques, une foule de questions se posent encore. Comment peut s'effectuer le passage massif à des énergies renouvelables ? En combien de temps ? Sous quelle impulsion ? À quel coût ? Avec quels changements dans nos habitudes de consommation ?… Pour l'instant, les réponses restent parcellaires. « Il existe certes des modèles économiques, des modèles énergétiques, avec différentes écoles et différents outils, note Luc Baumstark du CNRS. Mais notre objectif, c'est de mettre en cohérence ces différents modèles de façon à proposer  des scénarios qui permettent de tracer le cheminement de long terme vers des sociétés à bas profil d'émissions de gaz à effet de serre. » C'est l'une des pistes de recherche du programme socio-économique du CNRS qui vient de débuter. « De la même manière, les transports et l'habitat constituent des enjeux majeurs de la consommation énergétique… Mais transport et habitat sont intimement liés. Et l'on ne pourra pas élaborer des scénarios-villes durables sans intégrer les interactions entre les politiques publiques des transports, de l'habitat et les styles de vie. » Enfin, la diffusion des innovations technologiques est un mécanisme complexe. « Un fort soutien des pouvoirs publics n'est pas la garantie du succès, souligne Luc Baumstark. Mais notre but c'est justement d'analyser ces obstacles afin de donner aux pouvoirs publics des outils qui leur permettent de promouvoir les technologies les plus efficaces. »



Catherine Pagan

Notes :
1. Le 6e PCRD : Le programme-cadre de recherche et développement fixe les priorités de la Commission européenne en matière de R & D pour les quatre ans à venir.


10 Mars
2013

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