Les relances économiques européennes au miroir des Etats-Unis
Par Daniel Cohen



Europartenaires
Maison de l'Europe
23 Juin 2004

Les croissances européennes et américaines laissent apparaître des différences et des similitudes, notamment en ce qui concerne les inégalités, où l'on constate que l'union serait en train de s'américaniser, ce qui renforcerait une forme de ségrégation par les différences, notamment en terme de revenu. Comment, dans ce contexte, relancer l'économie ?

Il est à ce titre intéressant de comparer l'évolution de ces inégalités, car cela offre un instrument particulièrement efficace pour comprendre si celle-ci font peser une menace sur le modèle européen. Quels son les pays où ces inégalités sont le plus fortes ? Il apparaît que le royaume uni est le pays le plus inégalitaire de l'Europe, et qu'à ce titre, il est le plus proche du modèle américain. 1% des plus riches possédaient 20% du revenu en 1913 (18% à l'époque aux USA et 19% en France). C'étaient des sociétés de rentiers caractérisées. Après la deuxième guerre mondiale, les deux indices se fixent à 9% aux USA, contre 8% en France). Or, à partir des années 90, on ressent une très forte poussée des inégalités, voire une explosion sous Reagan, où ce chiffre grimpe à 12%...

Beaucoup pensent que la France serait sur la même pente, or il n'en est rien. Dans ces mêmes années, le taux français oscille entre 8 et 9%, mais des inégalités nouvelles apparaissent très largement, et l'évolution est quasi symétrique de celle des USA, le capitalisme ayant totalement changé de nature en l'espace de 20 à 30 ans. On est en effet passés d'une société secondaire à une société tertiaire. 45% de la population française dépendait du secteur secondaire. La part du secteur industriel proprement dit est aujourd'hui de 17% contre 75% qui sont rattachés au tertiaire. Il y a bien eu une tertiairisation de la société française.

Jean Fourastier y voyait le grand espoir du XXe siècle en 1948. Mais ce grand espoir ne s'est pas réalisé, malgré les trente glorieuses. 80% des ouvriers étaient alors des hommes et représentaient le groupe social "dominant". Les ouvriers spécialisés travaillent aujourd'hui dans des services de type artisanal — les plus importants — et de type industriel. Il s'en suit que les ouvriers accomplissent aujourd'hui des taches de service.

Edgar Morin annonce la diminution de la cohésion de la classe ouvrière et la disparition de son sentiment d'appartenance (conséquence directe de l'hémorragie de ses effectifs).

Il y a peut être là un angle de reconquêtes sociales (NDLR).

Une part des OS s'est rapprochée des thèses poujadistes (petit patron, petit commerce contre fonctionnaire et contre les impôts). Ces mêmes catégories, quand elles font l'expérience d'une gestion frontiste, ou sont plus informées des visées du FN, on tendance à s'en détourner, comme cela s'est observé lors des régionales de 2004, NDLR).

On est sorti de la structure pyramidale du taylorisme, très critiquée dans les années 50 et 60, avec le peak de 1968. Il parait donc important, pour mieux comprendre les ressorts de l'action à venir, de prêter une attention particulière aux travaux des sociologues.

Cette société a été battue en brèche par la recherche permanente des gains de productivité. Créant des limites internes, l'analphabétisation de beaucoup de travailleurs, les a rendus productifs quand ils disposaient des savoirs nécessaires afin d'accomplir leur tache, mais pas savants,. Ceci les empêchait objectivement de modifier leur sort, comme sous l'emprise d'une organisation scientifique du travail.

Dans les années 60, ce schéma a volé en éclats. Un nouveau type d'organisation s'est mis en place : des structures beaucoup plus plates avec une spécialisation accru des taches et une externalisation vers le marché de toutes les autres taches, ce qui a permis au marché d'exploser.

Les ouvriers se sont alors retrouvés de plus en plus vulnérables. Ce qui a changé, c'est que chacun, peut décider de son orientation et choisir de fonder son entreprise. Bill Gates aurait travaillé pour IBM, dans les années 70. Nous vivons actuellement cette dissociation. Le jeu entre les différents étages est plus fluctuant (assertative merging). On se côtoie entre acteurs de même importance. Dans les années 70, Renault produisait directement 80% d'une voiture, contre seulement 20 à 25% aujourd'hui, ce qui génère de nouvelles inégalités caractéristiques. Entre deux personnes de même formation les écarts de salaires sont de 1 à 10, contre 1 à 2 au maximum, pour ceux qui sont issus de polytechnique.

La France souffre également d'avoir raté la massification de son enseignement supérieur. En 1960, 30% d'une classe d'âge avait le bac, contre 65% aujourd'hui, mais parallèlement les moyens de tous ont diminué.
Un nouveau mécanisme s'est créé, l'"appareillage sélectif" qui s'impose partout. La société française est plus segmentée en matière territoriale que jamais. Il parait bon de s'interroger pour savoir si la machine à comprimer les destins va changer.

L'enseignement supérieur présente les deux éléments caractéristiques d'un société inégalitaire : la tertiairisation et la segmentation accrue des strates, phénomène qui est apparu dans les années 70 et qui a généralement été confondu avec la mondialisation.

Pourtant, les délocalisations et l'externalisation des taches sont des phénomènes moins importants, puisqu'ils ne sont que la conséquence des deux autres (exemple des comptabilités externalisées).

La mondialisation est donc un leurre...


Les emplois détruits sont nombreux, mais le solde final est dérisoire.

Cependant, la mondialisation aiguise les tendances de nos sociétés tertiaires à polariser les taches de conception et de prescription (laissant la fabrication s'échapper dans la chaîne de production). Le coût de fabrication d'une Nike est dérisoire. La moitié des coûts serve à mettre la chaussure au pied du client (pub, marketing, commerce, etc) Les USA sont excellents dans le cadre de cette configuration. Walmart, par exemple, produit plus de prescription que la Silicon Valley...

Les européens éprouvent, eux, du mal à passer à cette société de la conception (de la Recherche et du développement). 2 à 2,3% du PIB y est consacré, ce qui représente la moitié de l'effort américain, (équivalent de la Californie, presque). Aux USA les chercheurs sont concentrés dans d'énormes pôles de recherche (Boston, et San Francisco comptent la moitié d'entre eux), ce qui permet des synergies.
En Europe, tous les pays veulent concentrer toutes les activités, ce qui produit une forme de saupoudrage, et rend la concurrence impossible. Malgré ses protections, La France est actuellement une société qui éclate, en grande partie à cause de la faiblesse de son enseignement supérieur.

Symbole de cette pathologie, les USA dépensent proportionnellement le double des français et ils ont réussi leur massification, parce que le système est dense, très bien doté et qu'il offre de nombreuses passerelles. En 1900, il y avait 30000 étudiants en France, contre 2 millions aujourd'hui, le double que dans les années 70. Or dans l'intervalle le nombre de polytechniciens n'a fait que doubler...

L'angoisse des parents de polytechniciens s'est donc multipliée par 35 !

Entre ces deux étages, seul 5% du parc va aux grandes écoles, ce qui créé un système anxiogène, car la lutte commence dès l'école primaire en réalité. La conséquence de cette situation est que la société française de 2004 est dévorée par la perception qu'elle a de ses propres inégalités.

On ne pourra réirriguer le corps politique si on réirrigue pas le corps social...

Comment relancer l'emploi aux travers de grands projets européens

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