Europe : Que faire ? Continuer…
Par Arnaud Leparmentier




En ce début d'année, on serait tenté d'appliquer à l'Europe l'aphorisme de Pierre Dac. Le Vieux Continent « a son avenir devant lui, mais il l'aura dans le dos chaque fois qu'il fera demi-tour ». L'Europe regarde son avenir dans le rétroviseur : il suffisait pour s'en convaincre d'écouter Angela Merkel, lors de ses voeux du Nouvel An, associer les élections européennes du mois de mai aux commémorations du passé : centenaire de la guerre de 1914, 75e anniversaire du début de la seconde guerre mondiale – les Allemands célèbrent peu le Débarquement – et vingt-cinquième anniversaire de la chute du mur de Berlin, qui marqua la fin de la partition de l'Allemagne et de l'Europe.

Merkel III marche dans les pas de Helmut Kohl, qui expliquait à la fin de son règne que l'Europe était « une question de guerre et de paix au XXIe siècle ».



La paix, c'est ce qu'évoquent les dirigeants européens quand ils n'ont rien à proposer. Ils tendraient à donner raison à Causeur, la revue d'Elisabeth Lévy, qui titre, en ce début d'année électorale, « L'Europe c'est fini ! Et si on essayait la France ? ». On peut partager une partie du diagnostic – le rebond de la France réside essentiellement en elle-même –, mais nous réfutons la petite musique nationaliste qui va animer l'année électorale. Voici le retour des nations, ces fichues nations, IIIe République comprise, qui ont fait tant de mal au Vieux Continent.

Car la paix, c'est aussi ce qui reste de l'Europe quand on a tout oublié. Les Européens, selon le sondage Eurobaromètre d'automne, plébiscitent, parmi « les résultats les plus positifs de l'Union européenne », la libre circulation (57 %) et la paix entre les pays de l'UE (53 %). Bien loin devant l'euro (25 %) et les programmes d'échanges universitaires Erasmus (23 %). Etre européen, c'est pouvoir traverser son continent en paix.



Tirons les leçons du passé. En une décennie, le projecteur s'est déplacé du « plus jamais cela », après la Shoah et les crimes nazis, à une sourde inquiétude sur le jeu des empires européens devenus mini-puissances. La peur des totalitarismes s'estompe, car ceux-ci sont jugés vaincus, pour laisser la place aux conflits diplomatico-économiques qui peuvent déraper. Sans qu'on s'en aperçoive vraiment. On pourrait repartir comme en 14. C'est ce qu'a laissé entendre Angela Merkel, en citant, lors du dîner du Conseil européen de décembre, le livre Les Somnambules, de Christopher Clark (Flammarion, 2013), sur la marche vers la guerre à l'été 1914 : « Ils ont tous échoué et cela a mené à la première guerre mondiale. »



Les Européens, oserait-on dire, savent mieux gérer la guerre que la paix. C'est l'enseignement du père de l'Europe Jean Monnet. Responsable des approvisionnements pendant la première guerre mondiale, il constata que Français et Anglais retournèrent bien vite à leurs petites affaires une fois la guerre finie. Après l'échec de la Société des nations (SDN), après 1945, il décida de bâtir l'Europe sur le roc des institutions supranationales. D'où le célèbre adage de Monnet : « Rien n'est possible sans les hommes, rien n'est durable sans les institutions. »

Forte de cette conviction, l'Europe s'est abîmée depuis un quart de siècle dans des débats institutionnels sans fin, soucieuse de bâtir un projet fondé sur le droit plus que sur la volonté politique. Puis l'on s'est aperçu que cette construction était vaine, faute de volonté politique. Les Chirac, Jospin, Schröder, Blair et Aznar n'avaient aucun désir d'Europe et l'ont laissée moisir.



Certes, en temps de guerre, les Européens réagissent. Tardivement, trop tardivement, contraints d'appeler autrui à leur secours – comprendre Washington –, comme l'ont montré les guerres en ex-Yougoslavie dans les années 1990 et la crise de l'euro une décennie plus tard. Chaque nation, chaque peuple se jette dans la bataille parce que sa survie est en jeu. Lorsqu'il s'agit de la guerre militaire, chacun reprend ses billes une fois le conflit achevé – l'Europe de la défense n'existe pas.

Mais en économie, chacun finit par céder un peu de souveraineté, comme ce fut le cas avec les fonds de sauvetage européens et l'union bancaire. C'est ainsi que progresse l'UE. « J'ai toujours pensé que l'Europe se ferait dans les crises, et qu'elle serait la somme des solutions qu'on apporterait à ces crises », expliquait Jean Monnet dans ses Mémoires (Fayard, 1976).



Mais lorsque la poussière retombe, les gouvernements renâclent. Tant pis si l'édifice se mine de l'intérieur. C'est ce qu'a répété Angela Merkel à Bruxelles, qui ne pense pas que l'euro soit sauvé. Elle a osé comparer l'Europe à la RDA ou l'URSS finissantes. « Si tout le monde se comporte comme on pouvait le faire sous le communisme, alors nous sommes perdus », a assené la chancelière.

Les peuples ne veulent pas d'un diktat européo-allemand, et il suffit pour s'en convaincre de voir la joie amère des Irlandais enfin sortis de la tutelle financière du FMI et de l'UE. Mais à l'Elysée, on reconnaît que le statu quo n'est pas viable et qu'il faut plus d'intégration pour sauver définitivement la monnaie commune. Le cheminement étroit, c'est le destin de l'UE. « L'Europe sera en difficulté très longtemps », confiait Monnet en 1974, alors que la communauté était confrontée au premier choc pétrolier, à la fin du système de change fixe et à l'adhésion du Royaume-Uni. A la question « Que faire ? », il répondit : « Continuer, continuer, continuer… ».



17 Février 2014

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