ETATS GENERAUX DE L’EUROPE
L’Elargissement a t-il changé la scène culturelle européenne ?
5e Edition
Paris 9 Mai 2014




A l’initiative d’EuropaNova et du Mouvement des Européens


David Fagolle, ministère de la Culture et de la Communication, think tank Cultura

La plénière sur la Culture qui nous réunit permet de constater que la Culture est le parent pauvre des politiques européennes. Or, une certaine vivacité a été retrouvée, malgré les coupes budgétaires, grâce aux fonds européens du FEDER ou à la montée en puissance de « l’Europe créative », et le dynamisme des think tanks qui lui donne une visibilité accrue. Les éléments de contexte économique et commercial avec la négociation de l’accord transatlantique inquiètent le milieu des industries culturelles, ce qui a débouché sur le Forum de Chaillot, lui même suivi de propositions à la commission européenne traduites dans les faits puisque l’exception culturelle sera sanctuarisée et traduites dans les textes. Le nouveau monde de désignation du président de la commission européenne crée une situation nouvelle.



Nous allons élire un président de l’Europe. Et celui ci a été, fait nouveau, interrogé sur ses ambitions en matière de politiques culturelles. Les élargissements de 2004, 2007 et 2013 n’ont pas suscité de fêtes particulières. Qui se souvient que l’on dansait sur les ponts de l’Oder en 2004 ? Seule ARTE a commémoré cette date anniversaire avec les instituts culturels d’Europe centrale et orientale. Seules la Pologne et la Roumanie l’ont fêté. Les scènes culturelles européennes sont actives. faut-il dire comme le personnage de Budapest Hôtel, Zoubasky que nous sommes face à une république molle. Nous voyons les choses à travers des filtres médiatiques qui nous empêchent  de constater le dynamisme culturel que ce soit chez les slaves, ou en Roumanie, dans l’Europe centrale ou orientale. Le combat contre le communisme s’efface devant « l’après chute du mur ». Les engagements sont-ils retombés ? Y a t-il un rééquilibrage ? Les œuvres circulent-elles mieux ? La traduction est-elle plus dynamique ?



Luca Niculescu, Rédacteur en chef de RFI Roumanie, correspondant de Libération à Bucarest

Il y a eu un avant et un après des scènes roumaines. Nous sommes passés du calme à une situation chaotique. Les énergies se sont déchaînées sur fond de querelles politiques internes. Il y a eu cinq ministres de la culture en deux ans… Le budget de la culture a baissé de 40%. Il représente 0,7% du PIB. Soit 120 millions d’euros, ce qui est ridicule ou presque au regard du budget français. Il est difficile de définir de véritables politiques culturelles. Le budget est épuisé en juillet. Il y a néanmoins eu une immense ouverture d’espaces à l’ouest. 200 titres ont été traduits dans les principales langues européennes. Les marchés allemands, français, anglais se sont ouvert. Le cinéma est très important dans ce contexte et a reçu de nombreux prix. Dans chaque festival, il y a une présence de roumains. La crise a paradoxalement aidé la coopération entre les instituts culturels européens. L’institut Goethe, Cervantes, l’Alliance française, etc, s’associent actuellement…



Lors du débat sur le traité transatlantique, les cinéastes roumains, Mongiu, Costa Gavras, Radu Mihaileanu se sont engagés pour aller voir Barroso au sujet de l’exception culturelle. La Roumanie a signé la lettre de la Ministre française de la Culture.

A Bucarest, la BBC et Deutsch Welle se sont retirés. Au bénéfice de RFI qui a créé une grande filiale. On touche un peu aux limites ici, puisque ces radios représentaient une vraie valeur ajoutée. Les medias se sont affaiblis face à la crise.

Mais toute la scène culturelle roumaine travaille et cela doit être considéré comme un succès de l’Europe.



Krisztina Tóth, Poétesse et traductrice hongroise, lauréate du Prix Attila József

Son livre « Code Barre » est un immense succès et traite des rapports entre l’est et l’ouest. Krystina Todt est le plus grand écrivain hongrois actuel. Elle raconte qu’elle a ressenti comme un miracle son voyage à Vienne et comme une trahison le silence de ses parents sur l’existence d’un autre monde aux portes de leur pays. D’où le mystère du Code Barre qui est le messager étrange de cet autre monde et provoque une fascination sur l’Héroïne. Avant il fallait être invisibles, maintenant on a des difficultés à savoir comment apparaitre. La tache de l’écrivain est justement de questionner cette différence. Ecrire sans nostalgie n’est pas si mauvais. Le français était la langue principale de traduction. C’est aujourd’hui l’allemand qui donne accès au marché littéraire mondial. Elle provoque une attention accrue. En matière de traduction il y a une règle à Bruxelles. On ne traduit jamais dans la langue de son pays. Ayant fait des statistiques partielles et personnelles, je me suis aperçu que les textes sont très peu traduits dans les langues centrales et orientales. Les budgets sont en général affectés à la traduction des œuvres nationales et surtout etrangères dans la langue nationale. La situation européenne de la traduction est paradoxale. L’intérêt des grandes maisons d’édition pour les « grandes langues » se fait au détriment des « petites langues ».



Bernard Faivre d’Arcier, Président des Biennales de Lyon et de l’EPCC Metz-en-Scènes, ancien directeur du théâtre et des spectacles du Ministère de la Culture et du Festival d’Avignon

En créant le concept du programme « Théorème », nous avons cherché à faire circuler le théâtre partout. A l’exception du festival d’Edimbourg où tous le spectacles sont en anglais, les œuvres désormais sont de plus en plus données dans leur langue originale. La situation s’est bien accélérée  avec l’élargissement. Le survitrage des textes et des pièces grâce à de nouveaux procédés de vidéo projections qui sont paramérables et ajustables en temps réel.  Ce qui donne une plus grande visibilité à ces œuvres servies, au passage, par une meilleure traduction. Il y a maintenant une meilleure connaissance entre les artistes de l’ouest et ceux de l’Europe centrale, et orientale.



Les financements ont néanmoins été amputés et cela représente une difficulté pour le jeunes générations face à la crise. Mais les écoles sont supérieurement bonnes. Les formations excellentes. La génération actuelle a du mal à s’exprimer, les financements privés et le sponsors étant inexistants, cela provoque un « Brain Drain ». En musique, et en peinture, on perd des artistes au bénéfice de l’Allemagne ou des USA. C’est dans ce contexte qu’une vingtaine de festivals de l’ouest se sont regroupés pour accueillir des artistes de l’est. Les méthodes de choix ne sont pas privées et les choses sont améliorées par les professionnels : c’est « THEOREME »… Nous faisons des voyages tous les six mois pour nouer des contacts, lancer des invitations et proposer des parts de coproduction. 25 à 30 personnalités de la scène théâtrale ont émergé. Nous ne le faisions pas pour importer des cerveaux, mais pour respecter et la langue et la vraie volonté des artistes rencontrés.



Par opposition, le programme « KALEIDOSCOPE » créait un plum-pudding de mélange improbable de nationalités. Il était difficile de monter des projets ambitieux et originaux. Avec des subventions modestes Londres, Avignon, Anvers, Rome, Berlin ont alloué des parts de coproduction et ces festivals ont accueilli des artistes de l’est. Au point que après deux fois trois ans en Avignon, Théorême a été arrêté. Les objectifs sont-ils atteints ? Les scènes vivent et travaillent. Il ne s’agissait pas d’un néocolonialisme et le scepticisme a conduit  à transférer le programme à Riga sous la forme d’une fondation de droit letton…

Emil Tode, Ecrivain, poète et traducteur estonien

A reçu un prix littéraire de l’Assemblée de la Baltique pour « Le Pays sans Frontières ». Auteur le plus traduit de la littérature balte. Il a écrit Paradigme.



Il y a eu selon lui, une banalisation de l’Europe de l’Est. L’Europe était un eldorado avant et ce n’est plus le cas. Il y a eu un changement, imperceptible mais la rupture n’a jamais été totale. C’était un projet pratique plus qu’idéologique. La culture n’a jamais vraiment été prise en compte. Nous sommes Heureux d’être en Europe. Entre la Russie et l’Europe, l’Europe est aussi grande mais ce n’est pas la Russie.  C’est un paradis culturel, même au regard des Etats Unis.

Chacun ne fait plus que voyager. Ce n’est presque plus un plaisir. On a jamais autant publié. Face aux spectacles, aux films se pose la question de la qualité… Il est presque bizarre de dire qu’il y a trop de livres. On vient de la pénurie. Il y a t-il trop peu de lecteurs ? Que peut l’Europe ? La création artistique va à l’encontre des circonstances.. Créer des maisons d’écrivains à l’étranger ? L’Europe peut beaucoup plus pour la culture…



Jérôme Clément, Président, Théâtre du Châtelet, ancien président d’ARTE

Il y a eu un avant et un après 2004… J’ai travaillé pour le CNC depuis 1984. Je connais donc la situation précédente. Il faut ni diaboliser le passé, ni idéaliser le présent. La situation n’était pas si catastrophique à l’est avant 1989… Les échanges étaient intenses à l’époque. Il y avait un grand appétit de culture. Une progression s’est jouée de 1989 à 1992 puis à 2004… Après, ce n’est plus si bien. Les choses se sont compliquées… En Tchéquie, ARTE avait remplacé les russes. Entre télévision et culture, il y a eu de batailles politiques qui ont rendu le travail impossible. On a bénéficié des avantages du marché et du libéralisme, mais la commercialisation, voire l’américanisation de la vie culturelle a porté un grave préjudice à la vraie culture. Il n’y a plus eu de place pour la qualité après 1998-2000 et moins d’échanges que dans les années 90. Conclusion : Pourquoi ? Il y a eu l’obstacle des politiques intérieures car on a voulu supprimer tout ce qui venait de l’état. C’était un credo. Une grande incurie des institutions à fait place aux déconvenues du marché. En l’espace de moins d’une semaine on est passé d’un système culturel qui avait des qualités à un autre. Une évolution favorable n’est pas venue de ces pays et la gestion culturelle dans la construction de l’Europe a abouti à un libéralisme à tout crin. Les tenants de l’intervention de l’état en ont été pour leurs frais.
On est passé du paradis au paradoxe.



Il y a beaucoup à faire avant que cela ne devienne une réalité chantante.

Krisztina Tóth, Poétesse et traductrice hongroise, lauréate du Prix Attila József

Il est étrange que beaucoup de gens visitent la tombe de Ceaucescu pour y déposer des fleurs. La vie culturelle est très vivante. Mais pendant longtemps nous avons eu un double langage. Nous parlions par allusions de ce que nous dénonçions. Il faut abandonner ce double langage… La Budapest post soviétique a très peu changé… Moins que Tallinn… La question européenne est plus importante pour les hongrois que pour les baltes. Un roi de Budapest a voulu conquérir une couronne de Rome, de pape. Aujourd’hui Orban combat ouvertement l’Europe. Mais aucun projet culturel en Hongrie ne fonctionne aujourd’hui sans l’aide de l’Europe. C’est le cas des festivals de peinture à Kosice, à Sibiu… Les visas étaient un obstacle. Pour la Roumanie le changement a été très positif.



L’articulation simultanée d’une capitale européenne de la culture à l’est et à l’ouest est un peu une hérésie. Quel rapport entre Luxembourg et Sibiu. Même si des colons luxembourgeois l’ont fait grandir au moyen âge. Cinq ou six villes étaient candidates face à Marseille.

Bernard Faivre d’Arcier

Il ne faut pas oublier ces villes. A Kosice, à Sibiu. La Slovénie… Le tour de rôle de la France est censé revenir dans 15 ans. C’est peut être là une absurdité institutionnelle. Pourquoi ne créé t-on pas une capitale de la culture nationale en France ? C’est l’ambiguïté des saisons culturelles de l’Institut français, dont le choix est parfois énigmatique. C’est l’ancien rythme de l’AFAA et celui de Culture France qui ont tous les deux disparus.  Qu’elles soient Magyards, polonaises, tchèques, Croates, estoniennes on peut se demander qui dirige. La Diplomatie ? En Hongrie, la Hungarofest est un bon exemple. La saison hongroise en France de 2001 a permis de faire venir 500 artistes. Les relations bilatérales semblent bien fonctionner.  Elles paraissent plus fructueuses que les capitales européennes de la culture.



Emil Tode

Les Capitales sont pensées pour être en regard les unes des autres. Mais ce jumelage est artificiel. La Finlande et l’Estonie s’ignoraient alors qu’elles étaient face à face.

André Gattolin, Sénateur, Membre du Bureau du Mouvement Européen-France

Les élections européennes vont déboucher sur une nouvelle commission. La désignation politique du Président de cette commission est une première. Qu’est ce qu’elle peut apporter en termes de Culture, de Médias, et par rapport aux institutions européennes ? On voit que Presse Europe a été fermée… La commission européenne s’est montrée défaillante alors que sa base était de 600 000 lecteurs… C’est un grave manquement. Il faudrait réouvrir le site, sans intervenir sur la ligne éditoriale… C’est un média dont l’identité européenne est indiscutable.



Krisztina Tóth

Orban cajole ouvertement l’extrême droite avec des déclarations à l’emporte-pièce… Mais encore une fois, rien ne se fait sans l’aide européenne…

Emil Tode

Les politiques culturelles estoniennes sont très généreuses. Les subventions nationales sont plus importantes que celles de l’Europe. Tous les projets de livres sérieux sont aidés par l’état. L’unification européenne se fait sur fond de mondialisation… N’est-elle qu’un phénomène de celle-ci ? L’ouverture des marchés et des frontières provoque de plus en plus des fermetures intellectuelles et des replis identitaires. Face au grand monde, tout se passe comme si on se recroquevillait sur son petit monde à soi. Et l’Europe dans tout ça ?



Jérôme Clément

C’est un des éléments de la crise d’identité actuelle. Face aux espaces et aux frontières ouverts on assiste à des replis nationalistes. La prise en compte de ces phénomènes va dans le sens de l’accroissement de cet espace collectif qui n’imposerait à personne sa place. Une prise de conscience doit intervenir pour combattre l’europessimisme. Sinon des forces centrifuges pourraient menacer de créer des tensions et des dangers d’éclatement. Il faut qu’une prise en compte de ces phénomènes fondamentaux intervienne. Dès que l’on quitte l’Europe, on se sent profondément européen. Mais dès que l’on revient on oublie cet aspect. On ne l’est plus. Le langage et les mots ont une importance cruciale. Il faut une plus grande identité commune.



Bernard Faivre d’Arcier,

Il faut que les hommes politiques rencontrent davantage les artistes et leurs œuvres. Il est nécessaire qu’une prise de conscience intervienne là aussi. D’où l’importance des industries culturelles. Les réalités actuelles bouleversent les conditions de production des grandes sociétés. Ce sont des impératifs de la culture. Le domaine doit être abordé sans que l’on cherche uniquement à respecter un appel d’offre ou les règles de la concurrence, ce qui est une hérésie. Tout est effacé. Doit on créer des Roméo et Juliette sur appel d’offre ? Ce serait pervertir le raisonnement de la fabrication des œuvres.



Depuis cette date, on a pu par exemple applaudir à l'Odéon, en langue originale surtitrée, des mises en scène de : Deborah Warner, Lluis Pasqual, Peter Zadek, Klaus Michael Grüber, Giorgio Strehler, Andrzej Wajda, Jose Luis Gomez, Luc Bondy, Robert Wilson, Kenny Ireland, Patrick Mason, Lev Dodine, Frank Castorf, Ivan Popovski, Howard Barker, Carmelo Bene, Luca Ronconi, Krystian Lupa, Carles Santos, Romeo Castellucci et la Socíetas Raffaello Sanzio, Christoph Marthaler, Anatoli Vassiliev, Thomas Ostermeier, Matthias Langhoff ... (NDLR)

André Gattolin, Sénateur, Membre du Bureau du Mouvement Européen-France
Conclusion



La culture est un élément fondamental du débat européen, un élément central de la construction européenne. Il faut critiquer ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Seule la culture peut faire ce geste essentiel. Au niveau des intervenants, le rôle des médias est insuffisant. Nous arrivons enfin dans une phase active de la campagne.



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