Elections Européennes
Evidente, indispensable, bénéfique Europe
Par Pascale Krémer




Bien sûr, Clara ira voter le 25 mai. De là à imaginer que ce soit dans l'enthousiasme… « Je le ferai plutôt par devoir. » Clara Vermandé, 22 ans, en dernière année à l'EM-Lyon, l'une des meilleures écoles de commerce, résume à elle seule le sentiment paradoxal des élites françaises vis-à-vis de l'Union européenne.

Evidente, indispensable, bénéfique Europe. Mais qui ne fait plus vraiment rêver. Les étudiants des écoles les plus cotées comme les patrons de grandes entreprises, ces catégories de la population française habituellement les plus acquises à l'Europe, le demeurent. Mais semblent en attente d'un nouvel élan.



Clara cherchera d'ici quelques mois son premier emploi dans les relations humaines. Elle a volontiers accepté de parler de l'Europe, et ses mots (« une forme d'espoir », « certaines avancées », « une ouverture d'esprit », « des opportunités ») sont positifs.

« L'Europe, pour moi, c'est très concret. J'ai fait six mois de stage à Barcelone, avec une bourse Erasmus, je peux prendre l'avion demain et me retrouver à travailler n'importe où en Europe. Ou même plus loin. En nous encourageant à voyager dans l'UE, on a fait de nous une génération mondialisée. »



Elle s'agace de ces politiques qui se défaussent sur l'Europe pour faire passer des réformes difficiles – mais incontournables. Qui ne se positionnent pas clairement au moment des élections. Alors, pourquoi avoue-t-elle manquer d'entrain ? « L'Europe fait partie du paysage, elle est naturelle, on en a toujours bénéficié. On n'a pas le sentiment de devoir se battre pour elle. »

L'EUROPE, C'EST D'ABORD LA MOBILITÉ



Dans les grandes écoles de commerce, d'ingénieurs, de sciences politiques, la dizaine d'élèves sollicitée reconnaît d'emblée à l'Europe cet avantage majeur. Leur permettre, dans 28 pays, d'étudier, de faire des stages, d'être employés, voire même de créer une entreprise, avec une extrême facilité.

L'Europe, c'est d'abord la mobilité, pour cette génération née après les accords de Schengen, « ne pensant plus à l'échelle française » (dixit une élève de Sciences Po Paris), qui, souvent, a passé une partie de sa scolarité dans l'un des pays de l'UE, parfois obtenu un double diplôme, et côtoyé une multitude de congénères européens. Ce qui a « changé le regard sur la France » de François-Xavier Ribac, 20 ans, centralien. « J'ai compris par exemple qu'on nous enseignait beaucoup de choses très théoriques dont un ingénieur n'a pas besoin. » Désormais, il se verrait bien travailler en Amérique du Sud. « Les civilisations européennes se ressemblent toutes. Il y a une telle continuité. »



Leurs diplômes prestigieux feront d'eux de grands bénéficiaires de l'Union européenne, pensent-ils tous. En première année à Polytechnique, Alexandre Leonardi détaille cet « atout » européen pour sa future carrière : « L'Europe, je la vois comme un grand terrain de jeu. Ce sont plus d'employeurs potentiels, plus de possibilités de travailler dans le domaine qui me plaît. Et avec mon profil, je ne me sens pas menacé par la concurrence d'autres travailleurs moins chers. »

« ON VIT UN PASSAGE À VIDE »

Aucun d'entre eux ne se voit vivre sans l'euro, la quasi-totalité fera l'effort d'aller voter, mais les institutions européennes leur semblent « complexes », « abstraites », « lointaines », « lourdes », « bureaucratiques »… Sans impact réel sur leur vie quotidienne – hormis la libre circulation. Ils diagnostiquent de graves carences en communication, en politique étrangère ou sociale ainsi qu'une inertie face à la crise… Et racontent l'indifférence grandissante de leurs pairs qui jamais n'évoquent le sujet.

« On vit un passage à vide, observe Pierre-Philippe Sechi, 23 ans, qui sortira bientôt de Sciences Po Paris. Il y a une dizaine d'années, il y avait l'élargissement, le passage à l'euro, le traité de Lisbonne, quelque chose se passait. Aujourd'hui, on a l'impression de vivre un moment de fragilité et de flottement, sans grand projet. On ne sait pas où on va. »



Issus des mêmes écoles, trois de leurs aînés, devenus patrons de sociétés cotées au CAC 40, les rejoignent sur ce thème du projet qui se fait attendre. Le PDG de Capgemini, Paul Hermelin, déplore ce « désenchantement », cet « essoufflement de l'idée européenne par manque d'ambition collective ».

« DEPUIS L'EURO, PLUS UNE SEULE AMBITION »

Lorsqu'il rencontre un parlementaire européen, et lui demande ce qui différencierait M. Juncker de M. Schulz à la tête de la Commission européenne, la réponse est si confuse qu'elle a bien peu de chances de mobiliser l'électeur, croit-il.



« Depuis l'euro, plus une seule ambition… On finit par ne plus parler que de devoirs ! Il faut inventer un nouveau projet qui ne consiste pas seulement à venir au secours de la Grèce et du Portugal, même si c'est bien. En matière de transition énergétique, par exemple, l'Europe devrait être à l'avant-garde, réconcilier développement et écologie ! »

Tout en soulignant la difficulté de l'aventure collective par temps de stagnation économique, Gérard Mestrallet, PDG de GDF-Suez, acquiesce. « La politique énergétique européenne a été un grave échec. Mais elle semble aujourd'hui en avoir pris conscience. Rêvons d'une utopie, créons une véritable communauté européenne de l'énergie, porteuse de grands projets d'infrastructures créateurs d'emplois et d'innovation. Lançons en parallèle des mesures de solidarité pour des citoyens en précarité énergétique. »



Redonner à l'Europe une ambition, « des couleurs », demande aussi Pierre Pringuet, le patron de Pernod Ricard. « Elle est austère, pas toujours compréhensible, mais il se passe des choses, et pour le bien commun ! », défend-il. L'Europe si facile à caricaturer, avec ses réglementations tatillonnes, l'Europe bouc émissaire de temps de crise, qui pâtit de la défiance globale à l'égard du politique.

« AVEC L'EUROPE, LES FRANÇAIS VIVENT MIEUX »

L'Europe si maladroite dans sa propre pédagogie, bénéficie pourtant aux entreprises et aux consommateurs, assènent les trois PDG, ardents défenseurs de l'Union. Elle leur a garanti la paix, quand leurs pères et grands-pères n'ont pas eu cette chance. Elle leur a offert un vaste espace pour développer leur entreprise. « Les gens qui ne sont pas européens sont ceux qui ne sortent jamais de l'Hexagone. L'Europe est vitale ! Sans elle, on étoufferait ! », assure M. Hermelin.



« Avec elle, les Français vivent mieux, on ne le dit pas assez. Les produits sont moins chers, les taux d'intérêt moins élevés », renchérit le PDG de Pernod Ricard. La balance, pour le chef d'entreprise, est clairement positive.

« L'euro est un facilitateur énorme qui a éliminé les risques de change et les tensions sur les taux d'intérêt. La politique de la concurrence ne nous a pas entravés. La France est plus forte pour négocier des accords commerciaux avec la Chine ou les Etats-Unis. Les infrastructures de transports sont payées par les fonds européens. Et avec la crise s'est faite l'intégration du marché financier… L'Europe est devenue mon marché intérieur. »

Pour ces patrons, comme pour leurs cadets encore aux écoles, il n'est pas question de moins d'Europe. Mais de plus.

23 Mai 2014

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