Réinventer l'Europe... et les pratiques de la classe politique française

Par Edouard Tetreau




Le discours aux colorations eurosceptiques de François Hollande, lundi soir, le prouve : il faut une rénovation profonde des pratiques de notre personnel politique pour montrer à nos concitoyens que le problème de la France, ce n'est pas l'Europe.

Il fallait se pincer, lundi soir, en écoutant le président de la République, hier courageux avocat du « oui » au référendum de 2005, Européen formé à l'école de Jacques Delors, se transformer en triste eurosceptique.

Ainsi, le problème de la France serait l'Europe, et non l'inverse ? En voilà une nouvelle ! D'abord, politiquement, l'Europe va bien, merci pour elle. En tout cas, elle ne va pas si mal que cela : à part la France, la Grande-Bretagne par tradition insulaire, et le plus petit pays scandinave de l'Union (le Danemark et ses 5 millions d'habitants), aucun pays n'a osé mettre en tête un parti ouvertement europhobe ou d'extrême droite. Pas même les PIIGS : le Portugal, l'Irlande, l'Italie, la Grèce et l'Espagne, pourtant les pays les plus rudement touchés par la crise financière de 2009.



Economiquement, la croissance est en train de repartir en Europe, surtout dans les pays qui ont su réformer les structures de leurs économies, au prix de vrais sacrifices, afin de s'adapter à la réalité du monde. A l'instar de l'Irlande, de l'Espagne et du Portugal notamment, ils redeviennent compétitifs, attirent les capitaux et les énergies. La croissance dans la zone euro sera donc de + 1,2 % en 2014 et de + 1,7 % en 2015. La balance des paiements de la zone euro est excédentaire de plus de 250 milliards d'euros, permettant à l'euro d'être une monnaie stable dans un monde monétaire instable, et forte, ce qui nous permet de payer notre pétrole, notre gaz et nos importations à moindre coût. Quant au chômage, qui, à part des analphabètes de l'économie, oserait dire qu'il est causé par l'euro ou Schengen, quand l'Allemagne et l'Autriche, membres de la zone euro et de l'espace Schengen, ont des taux de chômage de 6,7 % et 4,9 % respectivement ?

L'Europe et l'euro protègent. Mais pas des propres turpitudes de chacun



Certes, l'Union européenne est imparfaite, et doit se réinventer à grande vitesse dans les mois qui viennent. Pas dans ses structures et institutions : rouvrir les traités serait interminable ; le tempo du XXIe siècle ne nous en laisse pas le loisir. Mais bien dans son leadership et dans la pratique de ses institutions. Il y a, en effet, beaucoup à redire, et à changer, sur le primat quasi religieux du droit de la concurrence. Sur l'application du traité de Schengen. Sur l'inadéquation de notre outil de défense européen, dans le monde dangereux du XXIe siècle. Sur les pratiques non transparentes et l'influence excessive de la Bundesbank à la BCE de Francfort.



Ce sera le formidable défi, on l'espère ici, et dès que possible, de Jean-Claude Juncker, futur président de la Commission européenne. Il a déjà la légitimité du vote de dimanche (212 députés PPE). Il aura l'autorité, l'expérience et le savoir-faire qui ont si cruellement manqué à Manuel Barroso. Ce sera aussi le défi du futur remplaçant de Herman Van Rompuy, fin novembre. Mais ni l'un ni l'autre ne pourront relever un autre défi, tout aussi crucial : celui de la réinvention de la classe politique française. Elle est devenue tellement indéchiffrable, éloignée des préoccupations des Français, incapable d'articuler des phrases et encore moins des actes intelligibles, que l'immense majorité des électeurs lui a tourné le dos, et à juste titre. Qu'est devenu le Parti socialiste réaliste de Pierre Mendès France, de Pierre Bérégovoy, de Michel Rocard et de Jacques Delors ? L'UMP, héritée du général de Gaulle et créée le lendemain du 21 avril 2002 par Alain Juppé et Hervé Gaymard ? L'UDF de Valéry Giscard d'Estaing, devenue Modem-UDI-Nouveau Centre et caetera ? Les Verts de Daniel Cohn-Bendit ? Ce ne sont plus des partis ayant vocation à gouverner le pays ; mais des syndicats d'élus attachés à leurs privilèges, désormais aussi peu représentatifs que les syndicats professionnels. Ce sont au mieux, des sous-écuries présidentielles pour chevaux de retour. Au pires, des écuries d'Augias que personne n'ose nettoyer.



D'un mal peut surgir un bien. Il faut espérer que, dans les mois qui viennent, aucun de ces partis ne subsiste dans ses cadres actuels, et que tous soient remplacés par des mouvements neufs, portés par les nouvelles générations - la mienne, et celles qui suivent : celles qui peuvent encore espérer inverser le cours des choses. En Italie, le Parti démocrate de Matteo Renzi, trente huit ans, 41 % des suffrages, a pulvérisé le mouvement protestataire M5S de Beppe Grillo, soixante cinq ans, 21 % des suffrages dimanche.



Nous sommes dans un pays de tradition militaire où les quatre chefs d'état-major des armées menacent de démissionner - du jamais entendu depuis le putsch d'Alger de 1958 - si, contre la parole donnée, le chef de l'Etat acceptait les coupes budgétaires mortifères, préparées en catimini à Bercy. Un pays d'ingénieurs où l'on construit par centaines des trains trop larges pour les quais de gare - du jamais vu depuis le sapeur Camember, sans doute. Un pays d'entrepreneurs qui fait fuir les entreprises et les capitaux. Un pays de tradition sociale où le Code du travail et les syndicats condamnent au chômage et à la précarité 5,5 millions de personnes. Un pays de fonctionnaires efficaces et non corrompus, mais paupérisés par une oligarchie défaillante et qui les a trahis. Il faut agir vite pour faire émerger un Matteo Renzi plutôt qu'un Mussolini français. Tant que nous en avons la possibilité démocratique.



28
Mai 2014

Abonnez-Vous aux Echos

Retour à la France

Retour au Sommaire

INFORMATIONS SANS FRONTIERES contact
Paris
France
Europe
UniversitÈs
Infos
Contact