Nous sommes tous des Tunisiens et des Egyptiens
Par Natalie Nougayrèdes


Lisez le discours de Barack Obama, le 11 février, au soir de la chute d'Hosni Moubarak. On le trouve sur le site Whitehouse.gov. Un discours de plus ? C'est en tout cas un vrai moment d'éloquence, comme les aime ce président américain, grand lecteur d'Abraham Lincoln. L'Egypte, le géant arabe, venait de basculer, sous la pression conjuguée des aspirations démocratiques et d'un retournement des militaires contre le vieux raïs.

Barack Obama s'est tenu debout derrière un pupitre sur le perron de la Maison Blanche. Il était grave et posé. Il n'a pas eu le ton d'un triomphateur. Il a parlé de Gandhi, de Martin Luther King, de la chute du mur de Berlin et des étudiants d'Indonésie qui manifestaient jadis contre Suharto. Une phrase, en particulier, mérite attention : "En Egypte, c'est la force morale de la non-violence - non pas le terrorisme ni la tuerie absurde - qui a une fois de plus incliné l'arc de l'Histoire vers la justice", a-t-il dit.

Le président américain se saisissait des événements du Caire pour ancrer le soulèvement pacifique des jeunes Arabes dans une lignée héroïque. En juin 2009, dans son discours du Caire, M. Obama avait cherché à réhabiliter l'image des Etats-Unis dans le monde musulman, annonçant "un nouveau commencement". Le voilà, ce 11 février, qui semble adouber une recette pour la démocratisation, le changement de régime, version "révolutions de velours".

Il faisait la démonstration de l'inanité de l'idéologie d'Oussama Ben Laden pour changer les choses. Il insistait : la voie pacifique est la solution. Citant un slogan de la place Tahrir, il prononce quelques mots en arabe, comme il l'avait fait au Caire - et ce n'est peut-être pas que de la pédanterie. "Selmiyya, selmiyya", nous sommes pacifiques.

C'était là un président américain en quête d'un "narratif" efficace contre Al-Qaida et consorts, contre ceux qui depuis des années cherchent à capter les frustrations de la jeunesse musulmane en les canalisant vers le fanatisme.



Une question en découle : Barack Obama va-t-il s'inventer son propre "Freedom Agenda" ? L'expression est très connotée, et lui-même ne s'y associerait certainement pas en ces termes. Elle provient du second mandat de George W. Bush. De cette période où le commandant en chef de la guerre d'Irak cherchait à faire oublier que nulle arme de destruction massive n'avait été trouvée du côté de Saddam Hussein. Une étape où il fallait essayer de draper en théorie pour l'ensemble du "Grand Moyen-Orient" une recette plus présentable que le langage des armes, et, ce faisant, tenter de priver Al-Qaida de leviers idéologiques. Mais il était alors trop tard.

Le "Freedom Agenda" de Bush a échoué au Moyen-Orient, sombrant dans le fracas des opérations militaires et des attentats en Irak. Barack Obama se retrouve paradoxalement - il ne pouvait l'anticiper - en position de reprendre le flambeau. A sa manière, et avec bien des prudences de langage. Sans donner la moindre impression de "dicter" aux autres.



L'éruption spectaculaire des sociétés civiles arabes a ouvert des horizons nouveaux. Hillary Clinton vient d'annoncer une stratégie pour ériger la formidable capacité de rassemblement sur Internet, les réseaux sociaux, en une partie intégrante du soft power américain, le pouvoir par l'influence et non la force.

Joseph Nye, l'inventeur de la formule soft power, professeur à Harvard, a théorisé cela. Il a écrit que, à l'ère de l'information, les stratégies de communication deviennent plus importantes. L'issue d'une lutte, en l'occurrence celle de l'antiterrorisme, ne peut se décider par la victoire des armes, mais par la victoire d'un récit. Dans la lutte contre Al-Qaida et ses métastases, il est essentiel d'avoir un "narratif" attractif pour la grande majorité, afin d'éviter le recrutement des esprits par les radicaux.

Voilà ce à quoi, neuf ans après le 11-Septembre, Barack Obama semble vouloir s'atteler, en s'appuyant sur la vague démocratique arabe, durant laquelle pas un slogan antiaméricain, antioccidental, ni anti-israélien, n'a été prononcé. Cette stratégie esquissée par le président américain nous était ainsi décrite, à Washington, par un membre de son administration, quelques jours après le discours du 11 février.



Oussama Ben Laden et ses émules ont dû être tétanisés par ce qui s'est produit à Tunis et au Caire, nous disait cet interlocuteur : "Les partisans d'Al-Qaida ont vu tout cela, et ils se sont dit : "Nous n'en étions pas."" M. Obama, en parlant de non-violence, a compris cela. Une foule de musulmans, sans slogans religieux, demandant un gouvernement qui rende des comptes et soit au service de la population : c'était le plus radical des échecs pour les fous furieux du djihad.

Dommage qu'en Europe aucun dirigeant n'ait à l'instar du président américain salué ouvertement, et avec emphase, le fait que l'avènement de la jeune génération de Facebook arabe constituait un formidable désaveu pour le "narratif" des islamistes fondamentalistes.

L'analyse avait pourtant bien été faite, depuis longtemps, que les régimes autoritaires servaient de terreau au radicalisme, et non de rempart. Prenons la France. Le chercheur Olivier Roy l'écrivait en 2005 dans un rapport remis au Centre d'analyse et de prévision du Quai d'Orsay : au Moyen-Orient, "les régimes laïques autoritaires ont failli", "la démocratisation est populaire" dans les opinions arabes.

Ou encore, ce texte public d'un collectif de diplomates et d'universitaires français appelé Avicenne, qui analysait en avril 2007 : "Le Moyen-Orient est la seule partie du monde qui n'a connu aucune alternance politique réelle depuis la chute du Mur. Les mêmes dirigeants (ou leurs fils) sont au pouvoir, appuyés sur des structures clientélistes et répressives." Dans ces "sociétés bloquées", le retard de développement contribue au "désespoir des populations, notamment des jeunes et des personnes qualifiées, et l'absence de perspectives alimente les discours d'Al-Qaida".



Barack Obama n'a pas deviné l'imminence de ces soulèvements arabes, aux catalyseurs imprévisibles. Mais, une fois le basculement accompli, il a trouvé des mots pour dire un "nous sommes tous des Tunisiens et des Egyptiens". A l'Europe de le suivre ?!

Février 2011

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