L’Inde, troisième pollueur mondial, promet des technologies propres

Par Julien Bouissou (New Delhi, correspondance)


C’est une équation difficile que l’Inde va devoir résoudre : contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique, dont le pays est l’une des premières victimes, sans compromettre son développement. A neuf mois de la Conférence sur le climat à Paris, tous les regards sont tournés vers le géant démographique indien. « Il est impossible d’arriver à un accord à Paris si les principaux émetteurs ne présentent pas de programmes ambitieux », soulignait en janvier Ben Rhodes, le conseiller de M. Obama, désignant l’Inde.

Or les négociations s’annoncent particulièrement difficiles avec ce pays, dont le quart de la population n’a toujours pas accès à l’électricité, où les villes vont devoir accueillir entre 250 et 400 millions d’habitants supplémentaires d’ici à 2050, et dont l’industrie est en pleine croissance. L’Inde est déjà le troisième contributeur de gaz à effet de serre, derrière la Chine et les Etats-Unis. Ses émissions de CO2 par habitant devraient doubler d’ici à 2030.



Lors du sommet « Delhi Sustainable Development Summit » (DSDS) qui s’est tenu dans la capitale indienne du 4 au 7 février, et où se sont rendus le ministre français des affaires étrangères Laurent Fabius et sa collègue de l’écologie Ségolène Royal, le gouvernement indien a réitéré sa position : celle d’un accord qui devra respecter le principe de « responsabilité commune mais différenciée ». « New Delhi ne va pas s’engager sur un plafond d’émissions et encore moins sur une réduction », prédit une source proche des négociateurs indiens.

« Qui va payer ? »

Pour afficher ses efforts dans la lutte contre le réchauffement climatique, le ministre indien de l’environnement, Prakash Javadekar, préfère multiplier les annonces sur les technologies propres et plaide, au passage, pour que les pays du Nord lui en facilitent l’accès. Le gouvernement a ainsi dévoilé, lors du sommet DSDS, son objectif de produire 100 000 MW d’énergie solaire d’ici à 2020. La promesse est ambitieuse pour certains, irréaliste pour d’autres. Ces huit dernières années, des capacités de production de 30 000 MW ont été installées dans le pays.



« Qui va payer et avec quels moyens ? » demande Ajay Goel, le président de Tata Power Solar, l’un des plus grands fabricants indiens de panneaux solaires. Les organismes publics chargés de gérer la production de l’électricité dans chaque Etat régional sont au bord de la faillite. Leurs dettes représentent à elles seules 0,7 % du PNB indien. Le gouvernement doit réformer le secteur de l’électricité et donner des garanties aux entreprises s’il veut les voir investir 170 milliards de dollars (150 milliards d’euros) pour atteindre l’objectif des 100 000 MW d’énergie solaire d’ici à 2020.

Cet investissement dans la « croissance verte » représente une opportunité économique, surtout en termes de création d’emplois, comme l’a rappelé Arnold Schwarzenegger, qui a fait le déplacement à Delhi pour vanter l’exemple de la Californie, dont il fut le gouverneur. « La croissance verte vaut pour les pays développés qui possèdent des ingénieurs. Mais dans les pays où la main-d’œuvre n’est pas qualifiée, c’est déjà plus difficile », nuance Nick Ishmael Perkins, le directeur du site d’information Scidev.net, consacré à la science et à la technologie.


 
Lois assouplies

En prônant le développement des technologies propres, l’Inde ne compromet ni le développement de son industrie ni le mode de vie de ses riches citadins. Cette position sera-t-elle tenable ? Malgré ses ambitions dans le secteur du solaire, et quoi qu’en dise le gouvernement indien, le charbon restera la principale source d’énergie dans les années à venir, répondant à près de 80 % de ses besoins d’ici à 2030. Au cours des derniers mois, les lois de protection de l’environnement ont été assouplies pour favoriser l’exploitation de mines de charbon.

L’Inde ne perd pas une occasion de rappeler ses statistiques de pauvreté pour justifier son besoin de développement et donc d’augmentation de ses émissions de gaz à effet de serre. Or cet argument est de plus en plus contesté. Car les inégalités se creusent, non plus entre Etats, mais à l’intérieur de chaque pays. Après vingt ans d’une forte croissance, l’Inde n’est plus un pays pauvre mais un pays riche avec beaucoup de pauvres : la onzième économie mondiale, qui compte près de 300 millions d’habitants vivant sous le seuil de pauvreté.



Delhi, si prompt à rappeler le nombre de ses pauvres dans les négociations sur le changement climatique, oublie de les mentionner quand il s’agit de développer le solaire. Or d’après les prévisions du Conseil pour l’énergie, l’environnement et l’eau basé à Delhi, les 10 % d’Indiens les plus pauvres devront augmenter leurs dépenses en électricité d’au moins 18 %, avec le solaire comme source d’énergie.

La pression sur l’Inde pour qu’elle s’engage sur un objectif d’émissions de gaz à effet de serre est montée d’un cran, en novembre dernier, lorsque Pékin a annoncé un plafonnement de ses émissions en 2030, dans un accord signé avec les Etats-Unis. L’Inde a perdu un précieux allié..

10 Février 2015


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