Limiter les naissances, un remède au péril climatique ?
Par Grégoire Allix



Il faut d'urgence aider les femmes à faire moins d'enfants pour lutter contre le péril climatique : c'est le message martelé par le rapport 2009 du Fonds des Nations unies pour la population (Unfpa), publié mercredi 18 novembre, selon lequel la natalité galopante des pays en développement est l'un des principaux moteurs du réchauffement et l'un de ses premiers risques.

A trois semaines du sommet de Copenhague et alors que la planification familiale marque le pas dans les régions les plus pauvres, l'Unfpa tente ainsi d'imposer dans les débats une question démographique aussi absente des rapports du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC) que des négociations internationales.

Le ton de l'appel surprend : même si la Terre gagne chaque semaine 1,5 million d'habitants, les démographes conviennent aujourd'hui, après l'alarmisme des années 1960, que la population mondiale va se stabiliser en douceur à plus ou moins 9 milliards en 2050 – contre 6,8 milliards aujourd'hui – et que la bombe démographique a déjà fait pschitt.

"Il ne s'agit pas de réglementer le nombre de naissances, mais d'offrir un libre choix", rappelle le Canadien Yves Bergevin, coordonnateur pour la santé maternelle à l'Unfpa. "Dans tous les pays où l'on développe l'égalité des sexes, l'éducation des filles et le planning familial, la natalité baisse durablement de six ou sept enfants par femme à seulement deux ou trois, sans coercition et sans exception."
Certes, un nouveau-né nigérian promet de créer au cours de sa vie une empreinte écologique bien moindre qu'un petit Américain. Mais les pays en développement connaissent une croissance rapide et très émettrice en carbone, argumente le Fonds des Nations unies pour la population (Fnuap).

"UN PROCESSUS LENT"


Ainsi, dans un monde aux ressources limitées, freiner la croissance de leur population permettrait aux pays pauvres, non seulement de sortir de la misère, mais aussi de réduire le volume de leurs émissions de CO2 et de mieux s'adapter aux effets du réchauffement – manque d'eau, insécurité alimentaire –, estime l'agence de l'ONU, selon laquelle "des modes viables de consommation et de production ne peuvent être atteints et maintenus que si la population mondiale ne dépasse pas un chiffre écologiquement viable".

Parlons chiffres, donc. L'ONU prévoit en 2050 une population mondiale de 9,15 milliards d'humains. Un scénario médian, encadré par une hypothèse basse à 7,9 milliards et une version haute à 10,4 milliards.

Selon les récents calculs d'un climatologue américain du National Center for Atmospheric Research, Brian O'Neill, l'humanité émettrait, dans l'hypothèse basse, deux milliards de tonnes de CO2 en moins que dans le scénario médian. L'économie équivaudrait au remplacement de centrales à charbon par 2 millions de turbines éoliennes d'une puissance d'un mégawatt !

Une autre étude tout aussi récente citée par le Fnuap conclut qu'un dollar investi dans la planification familiale et l'éducation des filles réduit les émissions de gaz à effet de serre au moins autant qu'un dollar dépensé dans l'énergie éolienne.

Des estimations de haute voltige, tant tout cela dépend de l'évolution des modes de consommation et de production. Mais présentée ainsi, l'arme démographique apparaît fort tentante… et peut-être un peu trop simple.

"Indéniablement, la croissance démographique amplifie tous les problèmes, c'est l'élément le plus simple et le plus direct. Mais c'est une illusion de croire que l'on peut agir sur cette variable de manière simple et directe. C'est un processus lent, qui passe par l'éducation et se heurte à des obstacles politiques et culturels, plus encore que religieux. Il ne suffit pas de mettre des cartons de contraceptifs à disposition des gens", tempère le démographe Henri Leridon, premier titulaire de la chaire de développement durable au Collège de France.

Reste que ce "processus lent" stagne dans les pays les moins avancés, alors même que le scénario moyen de l'ONU suppose une baisse considérable du taux de natalité dans les pays en développement, nécessitant des progrès importants dans l'accès au planning familial. Au point que pour certains scientifiques, sans reprise de l'effort en faveur de l'émancipation des femmes et de la contraception, on pourrait en réalité atteindre 11 milliards d'habitants en 2050.

"Un milliard d'humains n'ont pas accès à un minimum d'éducation sexuelle et de services de santé reproductive. Nos enquêtes montrent que 200 millions de femmes dans les pays en développement ont des besoins non satisfaits en moyens de contraception", explique M. Bergevin.
Signe de ce retard, la prévalence de la contraception moderne n'est que de 21 % dans les pays les moins avancés, où le taux de fécondité reste de 4,9, contre une moyenne mondiale de 2,54. "Une soixantaine de pays affichent toujours une natalité extrêmement forte", indique M. Bergevin.

Le Niger, pays semi-aride fortement soumis au risque climatique, fait partie de ces pays où la transition démographique n'est encore qu'une perspective lointaine : sa population devrait grimper de 15,3 millions à 58,2 millions en 2050, les femmes y ont sept enfants en moyenne et la prévalence de la contraception moderne ne dépasse pas 5 %.



AVEU DE SEMI-ÉCHEC


Quinze ans après la Conférence internationale sur la population et le développement de 1994 au Caire, où l'éducation, la santé reproductive et la planification familiale ont été reconnues par la communauté internationale comme la voie à suivre pour stabiliser la population, l'appel du Fnuap sonne comme un aveu de semi-échec.

Le financement de la planification familiale par les pays donateurs du Fnuap s'est effondré, passant de 723 millions de dollars en 1995 à 338 millions de dollars en 2007, en raison notamment du désengagement des Etats-Unis, inquiets de voir leur argent financer des programmes proavortement.

Un recul aggravé par les ravages des programmes d'ajustement structurel de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international sur les systèmes de santé et d'éducation de certains pays.

Au risque de paraître vouloir "récupérer l'enjeu du climat pour alimenter son fonds de commerce", selon M. Leridon, le Fnuap souhaite obtenir à Copenhague que l'émancipation des femmes et la planification familiale soient reconnues parmi les mécanismes d'adaptation au changement climatique susceptibles de recevoir des financements internationaux.

"Il n'y a pas d'investissement dans le développement qui coûte si peu et qui apporte des bénéfices si immenses et de si vaste portée", plaide Thoraya Ahmed Obaid, la directrice exécutive du Fnuap
.

Novembre
2009

Abonnez-Vous au Monde


Retour au Climat

Retour au Sommaire
INFORMATIONS SANS FRONTIERES
France
Europe
UniversitÈs
Infos
Contact