Prix Nobel de la paix : un moment "historique" pour la Tunisie
Par Céline Lussato

Avec ce prix Nobel de la paix, le Comité vient rappeler au bon souvenir du pouvoir tunisien que le pays de la révolution de Jasmin est, sous le regard du monde, l'exemple de la démocratie possible pour un monde arabe aujourd'hui bouleversé.

Le mot revient en boucle dans les commentaires, cet après-midi, après l'annonce de l'attribution du prix Nobel de la paix au Quartet du dialogue tunisien : "historique".

Beaucoup de joie exprimée dans le pays, beaucoup de fierté de recevoir ce prix, symbole de la haute lutte par laquelle la Tunisie a dû passer pour devenir une démocratie. Certes elle est encore fragile, mais c'est l'unique démocratie issue de la vague des soulèvements populaires, les "Printemps arabes", initiés fin 2010 et 2011.

A l'été 2013, tout aurait pu basculer

Ce prix, plusieurs membres des organisations récompensées ce vendredi l'ont dédié aux deux figures de la gauche tunisienne Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi assassinés les 6 février et 25 juillet 2013.

Deux hommes qui symbolisent le combat incroyable mené dans ce pays pour obtenir le droit de choisir ses représentants librement. Et dont les circonstances de la mort restent aujourd'hui toujours inexpliquées. Une nouvelle enquête sur ces assassinats a d'ailleurs été ouverte mardi 6 octobre.
A l'été 2013, tout aurait pu basculer. Avec le meurtre, devant chez lui, du député Mohamed Brahmi, suivi du long sit-in devant le Parlement, au Bardo, puis de la suspension des travaux de l'Assemblée par son président Mustapha Ben Jafaâr, les inquiétudes étaient grandes de voir le pays sombrer. L'exemple égyptien est alors dans tous les esprits.


Pourtant, la raison l'emporte, notamment grâce à la société civile tunisienne représentée par ces quatre composantes clés, comme vient de le souligner ce prix Nobel de la paix accordé aujourd'hui. Le Quartet, composé par l'UGTT, principal syndicat de travailleurs, l'UTICA, le syndicat patronal, la Ligue tunisienne des droits de l'homme et l'Ordre national des avocats tunisiens, fut, dans ce contexte de très fortes tensions, le médiateur qui conduisit le pays vers la stabilité, l'adoption de la nouvelle constitution et la conduite d'élections pluralistes libres.

Le prix Nobel viendrait-il au mauvais moment ?

Ce prix Nobel soulève toutefois quelques critiques ce vendredi. Car si le Quartet a permis de sortir, alors, de l'impasse de la confrontation politique et de la violence sous-jacente, il a également éloigné en quelque sorte le peuple des décisions en se passant de ses représentants élus pour mener le pays.

Comme le souligne Mustapha Ben Jafaâr dans le "Huffington Post Maghreb", cette initiative aurait pu être un précédent "dangereux". "C’est là où les individus peuvent jouer un rôle négatif ou positif, selon ce qu’ils sont", souligne l'ancien président de l'ANC tout en se disant fier de la décision qu'il avait alors prise.


En outre, certains s'interrogent sur le moment choisi pour décerner ce prix Nobel alors que de nouveaux signes d'inquiétude sur le terrain des libertés se font jour dans le pays : la LTDH note un accroissement des morts en détention ; la loi sur la réconciliation économique proposée par le président Essebsi prévoit l'amnistie pour les hommes d'affaires ou proches du régime de Ben Ali qui se sont enrichis lors de la dictature, faisant fi du processus de justice transitionnelle ; beaucoup ont accusé l'adoption récente de la loi antiterroriste de remettre en cause les libertés individuelles...
 
Le prix Nobel viendrait-il au mauvais moment ? La Tunisie serait-elle plus à blâmer qu'à féliciter aujourd'hui ? A moins qu'il ne s'agisse justement du bon moment, du moment de rappeler au bon souvenir du pouvoir tunisien qu'il est un exemple aux yeux du monde. L'exemple de la démocratie dans un monde arabe en plein bouleversement. Et qu'il est de sa responsabilité de rester cette lumière dans l'obscurité.


9 Octobre 2015

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