L’Europe doit assurer une partie des dépenses de sécurité au Sahel
Par Serge Michailof

L’effondrement du Mali, en janvier 2013, a mis en évidence l’extrême fragilité des pays situés sur la frange sud du Sahara. Ceux-ci sont confrontés à la montée de menaces extérieures. La plus grave provient de l’effondrement de la Libye, où se sont repliés les djihadistes repoussés par l’intervention française au Mali.

Les islamistes reprennent leurs incursions à travers le Nord nigérien, malien et mauritanien. Ils établissent des liens avec la franchise libyenne de l’Etat islamique (EI ou Daesh). La stratégie de cette dernière est claire : déstabiliser le Tchad, le Niger et le Mali, tant pour embarrasser l’ancien colonisateur qui apporte à ces pays une caution sécuritaire, que pour étendre les frontières d’un nouveau califat.

L’autre menace est Boko Haram – qui a fait allégeance en mars 2015 à l’EI. Ce mouvement est certes maintenant combattu par une armée nigériane reprise en main et une coalition régionale soutenue par la France et les Etats-Unis. Mais, loin de disparaître, le conflit va essentiellement changer de nature et la rébellion a toutes les chances d’essaimer dans la sous-région, en particulier au Niger, où ses partisans sont installés de longue date.

N’oublions pas enfin les mercenaires soutenus par le Soudan, l’irrédentisme touareg, les conflits entre Toubous et Touaregs, l’insécurité aux frontières de la République centrafricaine et la circulation des armes provenant de Libye. En abattant le régime honni de Mouammar Kadhafi, la France a ouvert un sinistre flacon d’où se sont échappés de dangereux génies.
Impasses sécuritaire et budgétaire

Les pays du Sahel se trouvent donc contraints à réduire leurs dépenses de développement pour financer des dépenses de sécurité qui approchent désormais 4 % de leur PIB, un niveau par ailleurs insuffisant pour faire face à leurs problèmes de sécurité. Cela les place dans une double impasse : budgétaire et sécuritaire. Et s’il est une leçon à tirer de l’Afghanistan, c’est que seules des forces de sécurité locales et un appareil régalien national peuvent y faire face, car les armées étrangères sont vite perçues comme des forces d’occupation.

C’est le refus américain, jusqu’à l’arrivée du général David Petraeus entre 2008 et 2009, d’accepter la prise en charge financière de l’armée afghane et le peu de sérieux de leurs tentatives de réforme de la police qui font que cette dernière est une entreprise mafieuse, que l’armée est désorganisée et que la guerre en Afghanistan est vraisemblablement perdue. C’est donc en fait tout l’appareil régalien de ces pays sahéliens – armée, gendarmerie, administration territoriale, justice – qu’il est urgent de consolider et de financer.

La prise en charge partielle des dépenses de sécurité des pays sahéliens par l’Union européenne ou par un groupe de pays donateurs est la mesure la plus urgente pour éviter que la dégradation sécuritaire ne paralyse l’effort massif de développement qui s’impose, en particulier dans le secteur rural.

Cette prise en charge ne doit pas se limiter, comme actuellement, à financer de la formation et à donner un peu de matériel. Il s’agit de payer les salaires, de réformer la gestion des ressources humaines et d’équiper entièrement les unités. Financièrement, cette prise en charge est possible. Equiper, former et financer pendant un an un bataillon sahélien coûte environ 14 millions d’euros. Rappelons que le montant du onzième Fonds européen de développement (FED, principal instrument pour la coopération avec les pays du Sud) couvrant la période 2014-2020 est de 30 milliards d’euros.

Une telle prise en charge serait justifiée pour trois raisons. Primo, cela coûtera infiniment moins cher qu’une intervention militaire européenne – qui va vite devenir inéluctable si rien ne change et nous conduira à une impasse. Secundo, la sécurité de ces vastes régions constitue un bien public régional, voire mondial, et, à ce titre, justifie une prise en charge mutualisée. Tertio, c’est la seule manière crédible d’assurer la sécurité de ces régions et d’éviter une « afghanisation » du Sahel.

Eviter la perspective d’une Syrie puissance 10

Les obstacles sont nombreux : la routine des services de Bruxelles, qui planifie ses actions comme l’ex-Union soviétique à l’époque du Gosplan. Les objections des juristes et des politiques qui argumenteront que l’aide n’a pas vocation à financer des dépenses militaires. Notons que cet argument est facile à contrer, car des concours budgétaires non affectés, s’ils s’inscrivent dans des cadres financiers incluant ces dépenses de sécurité, in fine les financeront indirectement.

En tout état de cause, devant les enjeux, que valent ces arguments si les principaux chefs d’Etat sont convaincus de l’ampleur de la menace que ferait peser sur l’Europe une zone de 5 millions de km2 qui, dans dix ans, aura 150 millions d’habitants, qui serait en proie au chaos et ne tarderait pas à déstabiliser une Afrique de l’Ouest dont la situation politique reste très fragile ? Nous avons devant nous la perspective d’une Syrie à la puissance 10.

Les Européens doivent s’engager davantage pour renforcer la paix au Mali

Au moment où la menace posée par l’EI en Libye devient sans doute le principal danger géopolitique auquel nous allons être confrontés, nous ne pouvons plus poursuivre dans ces pays – auxquels il faut aussi ajouter la Tunisie – une politique d’aide fondée sur les bons sentiments et le souci d’affichage. Il nous faut maintenant la fonder sur une froide analyse géopolitique et une saine appréciation de nos intérêts directs
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20 Janvier 2016

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