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GOUVERNANCE MILICIENNE, MIGRANTS ET SOUK EN LIBYE: LES DYNAMIQUES SOCIALES AU SEIN D’UN MARCHÉ PUBLIC DE TRIPOLI
Akofena, Abidjan, Numero 6, Vol 4, pp145-164 - Sous le patronnage d ISF - Par Franck Donald KEHI — Octobre 2022

Résumé : Au cours de la période du conflit libyen opposant les milices de Misrata à celles de Zintan en 2014, les migrants subsahariens ont investi avec le plus de succès l’espace économique du marché public de Souk tlata de Tripoli, au point de détenir un quasi-monopole sur le secteur de brouetta, ou transport manuel de marchandises. Quand les milices autochtones de Tripoli ont repris le dessus par la suite, notamment en Avril 2017, elles s’en sont prises aux intérêts des étrangers dans le marché, par divers moyens dont l’obligation de détenir des titres sanitaires. Les employés africains du marché ont dû recomposer avec ces règles ou partir vers d’autres opportunités de travail. Partant d’une approche ethnographique, l’article propose de décrire les modèles de gestion milicienne territorialisée qui ont conditionné les rapports sociaux existant entre les autorités miliciennes successives et les migrants subsahariens. Ensuite, il propose de mettre en lumière la place du migrant subsaharien sous sa fonction d’agent de brouetta dans l’espace économique du Souk tlata. Enfin, l’article s’est penché sur le processus de remplacement des migrants subsahariens par l’intermédiaire de l’imposition du titre de santé pendant la gouvernance des milices locales.

Introduction La révolution libyenne de 2011 a favorisé l’amplification du phénomène migratoire. Selon les sources gouvernementales de l’époque, 1 million de migrants résiderait en Libye en 2017. Contrairement au gouvernement libyen, l’OIM fixait le nombre entre 700.000 et un million de migrants. Ces migrants seront confrontés à des pratiques d’exclusion sociale liées aux logiques nationalistes issues du contexte militarisé. Pourtant, le conflit opposant les milices de Misrata à celles de Zintan en Mai 2014 a causé l’accroissement des migrants subsahariens dans les Souks, conduisant à des formes de monopolisation de certains secteurs d’activité. Cette appropriation rend compte de la qualité des rapports qui structuraient les relations sociales entre les migrants subsahariens et les autorités miliciennes. Mais l’épisode de la médiatisation de la vidéo-choc produite par la chaine de télévision américaine CNN en lien avec l’existence de potentiels ‘’marchés aux esclaves’’ vient relancer le débat autour de la question portée sur la nature des rapports sociaux qu’entretiennent les migrants subsahariens avec les autochtones libyennes. C’est dans ce cadre que s’inscrit dans notre article qui a pour objectif de décrire les modèles de gouvernance milicienne qui ont conditionnée les rapports sociaux existant entre les autorités miliciennes successives et les migrants subsahariens dans le Souk tlata de Tripoli après la révolution de 2011.

Méthodologie

La production de cet article s’est appuyée sur des données de terrain réalisée pendant l’élaboration de notre Thèse de doctorat5. Cette enquête qualitative s’est effectuée entre Janvier 2017 et Décembre 2018. Partant d’une approche ethnographique, nous avons réalisé une dizaine d’entretiens individuels et un focus groups instantanés à l’intérieur comme à l’extérieur du Souk tlata. Ces entretiens individuels et focus group se sont réalisés auprès des migrants subsahariens en fonction dans le souk tels que ; les aides-vendeurs où nous avons sélectionnées cinq  personnes, deux  éboueurs et douze brouetta. Les migrants subsahariens ayant une fois travaillés à l’intérieur de ce souk ont été également interrogés. Par contre, le choix porté sur les brouetta mobilisés comme population cible repose sur leur représentativité considérable par rapport aux autres corporations. Cette catégorie sociale de migrants subsahariens étudiés sont quasiment de sexe masculin et évoluant dans la tranche d’âge entre 16 et 50 ans. Aussi elle apparait comme la porte d’entrée par le bas dans le circuit du Souk tlata. Dans ce contexte, la pratique de l’immersion totale a été mobilisée comme outil de collecte de données. Notons que nous avons pratiqué cette activité de brouetta durant la période de Janvier à Avril 2017. Le reversement du pouvoir au sein du Souk tlata pendant la période d’Avril 2017 nous a conduit à stopper momentanée les enquêtes et à stopper radicalement la pratique de cette activité. Etant un atout dans le processus de récolte de données, les limites méthodologiques de cette étude résiderait justement dans cette pratique d’immersion totale parce qu’elle transmet les ressentis, les transpirations et les subjectivités des acteurs concernés. On observe un risque de transposition de cette subjectivité dans les données de terrain. Dans la suite de notre article, nous allons d’abord aborder la question des modèles variables de la gestion milicienne au sein du Souk tlata. Ensuite mettre un point d’honneur sur la description de l’activité de brouetta. Et enfin, nous allons nous pencher sur les facteurs qui ont conduit à l’exclusion momentanée des migrants subsahariens évoluant principalement dans le secteur du brouetta.

1. Résultats

1.1 Les dynamiques autour de la gestion milicienne dans le Souk tlata Parmi la multiplicité des souks établis à Tripoli, celui du Souk tlata du quartier de Hai Islami apparait comme le souk modèle regorgeant les caractéristiques générales. Il se présente comme un centre de stockage et de redistribution des marchandises périssables (légumes, fruits, féculents, etc...) provenant de la Libye rurale et des pays frontaliers ou partenaires (Tunisie, Algérie, Italie, Egypte et Turquie). Le souk assure la collecte des produits agricoles, leur redistribution et attire des flux de personnes et de biens. (W. Achouri ; 2017). En général, les souks sont des espaces économiques arabisés ultra-masculinisés dans lequel quelques migrantes subsahariennes tentent de se réinventer à travers la vente des produits subsahariens. Approvisionnant les micromarchés de proximité notamment les souks koudra8, le Souk tlata apparait comme un lieu de rencontre où se mêlent et interagissent différents agents du système économique tels que : les brouettas, les détaillants, les grossistes, les restaurateurs, les déchargeurs, les aides-vendeurs, les consommateurs, les éboueurs, le gardien du Souk, les gestionnaires des toilettes publiques, les opportunistes économiques, les chauffeurs de taxi aux entrées et les autorités miliciennes. Tous ces agents participent à la dynamisation des échanges économiques au sein du Souk. Dans ce cadre, les autorités miliciennes apparaissent comme des acteurs déterminant dans la fixation des règles d’échanges économiques. Ce qui expliquerait cette lutte permanente entre des milices pour la conquête de cet espace économique. Comme le signifiait un aide-veneur guinéen ;

E1 : Il y a beaucoup de groupes qui ont géré le marché là. Il y a des groupes qui ont fait un jour, il y a des groupes qui ont fait une heure. Et même le groupe des déchargeurs des camions du marché qui avait essayé de gérer le marché. Mais parmi tous ces groupes-là, il y a trois groupes seulement qui ont durée.

Les reversements des pouvoirs au sein du Souk tlata sont à l’image des dynamiques socio-politiques globales. Dans ce contexte explosif libyen, chaque moment politique peut se transformer en lutte de pouvoir. C’est dans ce cadre qu’une multiplicité de milices va marquer leurs passages dans la gestion du Souk tlata. Mais, parmi ces milices, trois se sont faire remarquer par leur longévité. -

Les milices de Zintan de 2012 à 2014 -
Les milices de Misrata de 2014 à 2017 -
Et enfin les milices locales de 2017 à 2020 -

La gestion des milices de Zintan et l’institutionnalisation du brouetta

Par définition, une milice est un groupe armé s’arrogeant la gestion d’un territoire. Les milices de Zintan se présentent comme la première force militaire à s’investir dans la gestion des affaires de Souk tlata. Elles ne feront pas long feu comme ses successeurs mais les faits marquants de leur gestion résiderait autour de l’institutionnalisation et de la libéralisation du secteur de brouetta. Chaque individu disposant d’une brouette personnelle pouvait investir l’espace économique du souk. Ce qui signifiait l’établissement d’un rapport plus ou moins cordial entre les autorités miliciennes du moment et les entrepreneurs du brouetta au sein du souk. Mais la constatation croissant des actes de kidnapping à Tripoli réduisait la mixité socio- culturelle au sein de cette activité du brouetta, secteur monopolisé, en ce moment, par les migrants égyptiens. La guerre civile de 2014 remportée par les groupes armés de Misrata va repousser les groupes armés du Zintan hors de la Tripoli donc hors du souk. Entre la période du délogement du groupes armés de Zintan et celle de l’installation du groupe de Misrata en 2014, il y aura une tentative de gestion d’un nombre considérable de groupes armés intermédiaires endogènes comme exogènes au Souk.

C’est dans ce contexte inédit que les milices de Misrata vont remplacer les milices de Zintan pour se constituer en nouveau garant de l’ordre public à Tripoli et dans les souks. Parmi ses membres, des ainés sociaux se mettent en avant pour le contrôle et la gestion du Souk tlata. Ces individus flirtent entre la quarantaine et la cinquantaine. -

A l’époque de la gestion des forces de Misrata, de 2015 à 2017

Au quotidien, deux ainés sociaux apparaissent comme le moteur du système de gestion du Souk. Une division de travail marque la spécification de leur fonction professionnelle dans l’établissement des nouvelles règles de jeu. L’un s’occupe de la gestion de l’entrée des marchandises provenant de l’extérieur. Et l’autre s’oriente vers la sécurisation du marché et la collecte des taxes auprès des détaillants. Le premier associe le gardien du souk à la gestion de l’entrée des marchandises. Par ce fait, il lègue, au gardien, une partie de son pouvoir. De nationalité burkinabé, le gardien du souk surfe sur ce pouvoir de décision pour introduire un nombre suffisant de migrants burkinabés dans son système de gestion. L’objectif consiste à consolider et à étendre son pouvoir dans d’autres sphères de la gestion du Souk. Partant de ce principe, il confie la gestion des toilettes publiques à ses compatriotes dont les recettes retombaient dans les mains de cet ainé social. Ce dernier apparaissait comme le chef de la milice gouvernant le souk pendant la période 2015-2017. Le second ainé social libyen s’appuie plus sur les services des jeunes opportunistes arabophones. Son objectif était porté sur la sécurisation des échanges économiques dans le souk. Maitrisant partiellement l’ensemble des espaces du souk et des acteurs majeurs qui le composent, le second ainé social mobilise ces jeunes opportunistes dans l’optique de les positionner comme des guides essentiels. Rodant aux alentours du souk, ces jeunes opportunistes se substituent occasionnellement en des vendeurs des produits de saison. Cette couverture commerciale occasionnelle et ce profil d’errance perpétuel leur permettent de s’imprégner des réalités du souk. Jeunes issus des quartiers environnants, déscolarisés et en manque de repère social, ces jeunes opportunistes se produisent permanemment comme des informateurs de la milice gouvernante.

Ce positionnement leur permet de se jouer de l’autorité milicienne, favorisant la création des marges de manœuvre au sein du souk. S’inscrivant dans la vingtaine d’années, ils incarnent le rôle de déclencheurs des pratiques xénophobes et racistes. A la fois, fauteurs de troubles et informateurs de la milice gouvernante, ces jeunes opportunistes se construisent à la frontière de cette dichotomie. Leur fonction de trouble-fait renforce davantage la présence et la fonction des autorités miliciennes. A l’inverse, la collaboration tacite qui est à l’origine de leur existence structure les prises de décision milicienne. Dans cette perspective, comment se structuraient les rapports entre migrants et autorités miliciennes ?

- Collaboration tacite entre migrants et autorité du souk

Le conflit armé opposant les milices de Zintan à celles de Misrata en 2014 a fait le lit de l’immigration clandestine. Dans ce contexte de guerre civile, les quartiers blacks11 s’incarnaient comme des espaces circulatoires de l’industrie migratoire. Leur proximité avec le Souk tlata favorisaient la reconstruction économique de certains migrants. Ces derniers investissent le Souk tlata et se reconvertissent, en majeur partie, en brouetta. Aussi, le rôle qu’a joué le gardien du Souk dans la mobilisation des migrants subsahariens semble très déterminant. La fonction d’ascenseur social intégrée dans le dispositif de l’activité de brouetta permettait une mobilité sociale. Autrement dit, un brouetta pouvait devenir un aide-vendeur auprès des détaillants égyptiens ou libyens. Mais l’acquisition de la langue locale apparaissait comme un élément déterminant dans la réalisation de cette mobilité sociale. Et grâce à l’appui social des aides-vendeurs ou des brouetta, d’autres migrants subsahariens s’introduisaient littéralement dans le circuit du brouetta et donc dans le tissu socio- économique du Souk. Et de fil en aiguille, leur nombre croissant conduit au monopole de l’activité de brouetta, surpassant les égyptiens. De janvier à Avril 2017, le Souk tlata se transforme littéralement en un marché subsaharien. La coloration noire de ce nouvel environnement social n’était pas du goût d’une bonne partie des agents économiques. Et les migrants collecteur-alimentaires seraient la catégorie des migrants qui vont subi les premiers le mécontentement de ses agents économiques.

- Mode de gouvernance des forces de Misrata dans l’organisation du souk

Les migrants collecteurs-alimentaires se présentent comme ses migrants logés dans une dimension d’attente où ils attendent le signal final du passeur afin de s’orienter vers les sites de la traversée méditerranéenne notamment dans les villes de Zaouïa, Sabratha etc. Ils apparaissent comme les passagers ayant soldés la totalité de leur transport pour la traversée méditerranéenne. Les migrants collecteurs alimentaires vont porter leur action autour du ramassage des aliments dans ce marché public. Cette catégorie de migrant préfère se produire comme des loques humaines en se vautrant dans la décharge principale pour se trouver des aliments de consommation recyclables. Avec une décharge comportant des aliments en instance de périssabilité déversés à la veille par les détaillants du souk, ces migrants structurent leur action au petit matin à partir de 5 heures, période à laquelle arrivent les premiers véhicules transportant des marchandises des grossistes prêts à décharger. L’action de déchargement implique une nécessité de la chute de quelques produits de consommation par terre. Ces aliments restés à même le sol sont immédiatement récupérés par cette catégorie de migrants dans leur passage.

Dans cette action de ramassage des aliments, certains se voient parfois rudoyer par certains détaillants dans le sens où ces derniers perçoivent ces migrants comme des ‘’cliftis’’. D’autres, par contre, rentrent dans une logique de compassion dans la mesure où ils perçoivent ses migrants comme des démunis sociaux auxquels la société se doit de les laisser structurer leur action. Cela participe à la réduction du gaspillage des ressources alimentaires, contribuant dans son prolongement, au renforcement de la sécurité alimentaire pour une catégorie marginalisée. C’est dans cette seconde logique que va s’inscrire le mode d’action des autorités militaires en place.

Cette politique du laisser faire va contribuer à dynamiser le potentiel économique du souk. Par conséquent, cette initiative de collecte alimentaire sera reprise et imitée, plus tard, par des migrants arabophones puis par des Libyens déplacés de guerre et enfin par les fauchets de la crise13. La rationalisation de l’usage de la compréhension du mode de fonctionnement du souk à travers le ramassage des aliments va permettre, à certains, de s’insérer dans le tissu économique du marché. Ainsi, le migrant peut passer du statut du migrant collecteur-alimentaire au statut de brouetta.

Les autorités miliciennes originaires de Misrata se rangeaient derrière une logique libérale. Celle-ci représente le principe même de la dynamisation de l’économie du marché. Ce modèle de l’économie du marché favorise un climat des affaires propices à la maximisation du profit des agents économiques, y compris de celui des autorités miliciennes. Ces effets conduisent à une autorégulation du système du marché. Dans ce cadre, la logique de gouvernance locale s’établissait sur un principe de justice. Certaines interventions violentes de la part des autorités miliciennes envers les indisciplinés redonnait la stabilité dans les dynamiques d’échanges économiques. Avec ce principe d’interdiction de pénétration des brouettes des particuliers dans le champ d’action du souk, les autorités miliciennes arrivaient à contenir les débordements intérieurs comme extérieurs.

L’intérêt porté sur les migrants ne s’arrêtent pas seulement au niveau du souk, mais se poursuit jusqu’au niveau de la structuration de la traversée méditerranéenne, mission confié au gardien du Souk. Ayant la gestion d’un ensemble de brouettes qu’il faisait louer, le gardien du souk avait la responsabilité de la gestion du recrutement des candidats pour la traversée méditerranéenne. Il structure le réseau de mobilité clandestine en profitant de sa notoriété auprès des migrants. Certains migrants, candidats à la traversée méditerranéenne, avaient ce privilège de se créer un dortoir au sein du Souk notamment dans les entrepôts de brouettes.



  Cette pratique de proximité permet, au migrant candidat, de limiter ses dépenses et donc d’épargner facilement et suffisamment dans les plus brefs détails. Cette logique lui permet de se payer sa traversée méditerranéenne rapidement. Et par effet d’entrainement en lien avec le succès de certains migrants candidats dans l’acte de la traversée, l’ensemble des migrants candidats demandeurs s’agrandit. Ce qui dynamise la structure économique du souk et de celle des autorités miliciennes gouvernantes. À la fois, les recettes douanières d’entrée, les taxes fixées aux détaillants et enfin l’institutionnalisation de la commercialisation de la traversée méditerranéenne renforcent le pouvoir économique de la milice gouvernante. Mais, cette rentabilité économique va attirer la convoitise des autres milices environnantes à travers laquelle des moments politiques vont se transformer en opportunités de renversement du pouvoir local.

- Le moment de la transition et les perturbations dans la vie du marché En fin Mars 2017, l’onde de choc provenant du meurtre d’un agent de sécurité d’une banque va mettre le feu aux poudres. Orchestré, semble-t-il, par un supposé membre d’une milice de Misrata, ce meurtre va conduire à une révolte locale. Et cette révolte locale conduit aussi à une décision politique portée sur la structuration d’un ultimatum. Cet ultimatum déclenché par le gouvernement de Saraj spécifie, dans son contenu, l’expulsion immédiate de Tripoli de l’ensemble des milices de Misrata. Cette situation socio-politique précaire marque la période de transition. Ce moment de transition porté sur le transfèrement de pouvoir urbain dans l’ordre institutionnel va s’effectuer dans des conditions brutales au sein du Souk. L’on va constater des pillages systématiques, actions menés, semble-t-il, par les jeunes opportunistes arabophones collaborant avec les autorités miliciennes déchues par le vent de la contestation locale. Du coup, les nouvelles autorités miliciennes issues du milieu local de proximité vont faire une entrée fracassante dans la sphère du pouvoir du souk en menant des poursuites contre ses jeunes opportunistes, tout en incluant dans le même coup, le libyen d’origine tunisien propriétaire de l’autre entrepôt de brouetta. Composés en majorité des jeunes flirtant entre la vingtaine et la trentaine, cette milice locale organisée spontanément provient du quartier de Hai Islami. Il semble être rattaché au groupe armé de Gheniwa. Cette milice se revendique être les propriétaires terriens de l’espace où est situé le Souk tlata. Attendant longtemps leur tour de gouvernance locale, ces jeunes désorganisés dès le départ vont se précipiter dans la gestion du souk. Les conséquences de leur inexpérience vont participer à la perturbation profonde de la vie du marché.

- La montée des milices locales dans la gestion du souk Les mesures de restauration sociales misent en place par les nouvelles autorités miliciennes seront de nature radicale. D’abord, les mesures portées sur les présumés pillards, ensuite la réforme des normes de construction des restaurants et enfin l’imposition des cartes de santé dénommée Patata sahiya. Ces premières mesures semblent être les premières composantes de leur feuille de route. Ces mesures impopulaires au sein du souk seront vite introduites. Et ces actions miliciennes inscrivent dans un contexte de ferveur et d’enthousiasme généralisé justifiée par la reprise en main de la gestion exclusive de leur ville aux des mains des milices de Misrata. Malgré cette pression sociale, certains résidus des groupes armés de Misrata vont essayer tant bien que mal de rester et de conserver leur ‘’gagne-pain’’. Mais face à la détermination juvénile locale, ces ainés sociaux de Misrata ne pourront pas voir ses plaidoyers acceptés par la jeune milice locale. Dans un premier moment, l’on observe une cohabitation momentanée marquée par un travail en équipe entre les deux tendances. Après un bout de temps, l’ancienne génération laisse la place à la nouvelle qui se mêle les pas. Débordante d’énergie, cette catégorie de jeunes individus armés finit par effrayer l’ensemble des agents économiques à travers ses méthodes brutales d’intervention et non synergiques. Du coup, tout l’ensemble de l’espace du Souk tlata se désertifie, événement marquant la période de la transition.

- Gestion individualisée et désertion du marché : une anarchie réorganisée L’enthousiasme et l’euphorie animant les nouvelles autorités miliciennes bouleversent le champ économique. Une partie des nouvelles autorités porte leur action sur les migrants subsahariens et une autre sur les détaillants en majorité des migrants égyptiens. Cette première partie des jeunes miliciens vont reprocher aux migrants leur non détention de la carte de santé16. Des opérations de rafles vont s’effecteur dans un contexte de violence. Cette action improvisée sera le déclic dans l’approche constructiviste d’instauration du nouvel ordre environnemental, économique et social au sein du Souk. L’autre partie de la milice va s’investir dans le prélèvement des taxes dans son ensemble. A l’intérieur de cette action collective spontanée, l’on enregistre la structuration des actions individualisées. Nous avons en mémoire l’exemple du raquetteur du service matinal. C’est l’histoire d’un jeune milicien qui préfère travailler de façon isolé et individualiste. Au-delà des taxes prélevées officiellement, cet individu, étant un démembrement des nouvelles autorités miliciennes, met en place une opération de collecte de taxe chaque petit matin en faisant le tour de l’ensemble des détaillants à l’insu de l’institution établie. Profitant du désordre institutionnel, il opère en toute impunité pendant une semaine. La mise à disposition des informations concernant une double action d’encaissement et de prélèvement de taxes a fait prendre conscience aux nouvelles autorités des conséquences si jamais il y avait une remontée d’informations dans la hiérarchie du groupe armé mère. Cela pourrait nuire à leur positionnement fraichement acquis. Ainsi, cette première intervention collective sur ce fauteur de trouble matinal redéfinit l’organisation milicienne en profondeur. Cette initiative d’ensemble serait l’action d’envergure qui va régler le comportement spontané et déviant de certains membres du corps. Mais cela ne vas pas pour autant régler définitivement les excès.

- Les nouvelles autorités dans un rôle de gestion abusif

La politique globale d’assainissement public impulsée par le gouvernement Saraj va voir son prolongement dans l’aménagement de l’espace physique du marché. Les nouvelles autorités militaires du souk vont se produire comme les exécutants actifs du pouvoir dite légitime. Au-delà des reformes portées sur l’introduction de la carte de santé, l’insalubrité de l’espace se présente comme le second bout à saisir dans la stratégie de gestion. La transformation de l’espace dans l’ordre du rétablissement de l’esprit sanitaire procurerait de la crédibilité aux nouvelles autorités miliciennes. Depuis l’avènement de la crise sociopolitique, le cadre environnemental du Souk a perdu son visage rayonnant. Cette situation précaire s’est empirée pendant les moments de lutte de pouvoir. Reléguées au second plan, les architectures précarisées des restaurants se sont mis en place, réinventant les lieux de restauration et les menus subsaharo-égyptiens, menu ciblant les catégories de migrants investis dans les activités de brouetta et d’aide-vendeurs. Ne provenant pas du dispositif sociétal local, la visibilité de cette précarité architecturale a attiré l’attention des nouvelles autorités, autorités à l’affût des opportunités d’exploitation indispensable à l’affinement de leur positionnement nécessaire à la construction de leur légitimité. Le restaurant apparait comme l’espace de rencontre entre les différents brouetta. En une demi-heure, ils fraternisent en identifiant les nouvelles têtes et les absents. C’est le lieu de repos et du bilan.

La restauration au sein du Souk tlata est un secteur d’activité dominé par les migrants égyptiens. L’anarchie dans ce secteur génère des opportunités pour les autorités miliciennes dans un contexte marquée par une période de détente. Ainsi les autorités décident de reformer ce secteur en introduisant les nouvelles normes de construction en lien avec la rénovation des installations des espaces de restauration. Cette décision a nécessité la fermeture temporaire de tous les espaces de restauration et la fermeture définitive des modèles inappropriés. Ce temps latent d’absence de restaurant marque la présence effective d’une nouvelle administration. La prise de décision portée sur la restructuration du secteur de la restauration s’inscrit dans un contexte marqué par l’avènement de la période de Ramadan. Et naturellement, ces restaurants allaient fermés pendant cette période religieuse. Du coup la fermeture totale de ses restaurants rentrait dans un cycle naturel. Ce contexte religieux a plus ou moins facilité l’adoption de cette mesure radicale. Mais le relâchement progressive de cette mesure est fonction des améliorations de construction et de mis en place d’un service reformé après la période de Ramadan. L’accent était plutôt mis sur l’architecture que sur la qualité de la prestation des services. Au final, rien n’a substantiellement changé dans les habitudes prestationnelles des restaurateurs. Aussi, la question de la gestion des toilettes publiques a été définie dès l’entrée des nouvelles autorités dans l’administration du souk. Les toilettes publiques génèrent une économie considérable eue égard à sa nécessité d’usage permanent (pour les ablutions et les besoins naturels) et sa simplicité dans sa méthodologie d’entretien. Partiellement entretenu, les toilettes publiques sont au nombre de deux et sont situées dans les deux extrémités du marché. Fixé à ½ dinar pendant les temps ordinaires ou 1 dinar pendant les temps extraordinaires18, la fréquence du niveau d’usage régulière produit dans l’imaginaire des individus aux alentours de la génération d’une manne financière importante, d’où l’effort de récupération serait un acte salutaire pour les nationaux attendant les opportunités à saisir. Pendant le règne du groupe de Misrata, la gestion a été déléguée au gardien du marché qui s’avère être un étranger de nationalité burkinabé. Ce dernier, voulant se construire une communauté de proximité sur laquelle il pourrait rebondir, a décidé de positionner ses compatriotes cadets au rôle de gestionnaire des toilettes publiques.

Du coup, ce secteur de la gestion des toilettes publiques était monopolisé par les migrants burkinabés. Vu l’atmosphère sociopolitique perpétuellement changeant, cette stratégie de positionnement des proches pourrait permettre la construction d’un continuum territoriale de gestion pouvant perpétuer sa présence même absente. Mais, cette œuvre de l’esprit fut désillusionnée par le premier coup de tonnerre. Dès le renversement des groupes armés de Misrata en lien avec l’ultimatum promulgué par le gouvernement de Saraj dans le mois d’Avril 2017, des individus extérieurs non identifiés ont fait irruption dans le marché, prenant à partie les gestionnaires burkinabés. Cette initiative fut désamorcée par l’intervention des détaillants dans un premier temps, rendant compte de l’insuccès de leur entreprise. Etant sur un pied de guerre, les gestionnaires burkinabés furent une seconde fois bousculés, cette fois-ci, par les démembrements des nouvelles autorités issus des milices locales dans un contexte marqué par leur installation définitive au sein du souk. Ce moment de délogement est marqué par l’application d’une dose de violence portée sur la capture de ses gestionnaires burkinabés. Cette stratégie de capture répondait a deux objectifs ; les kidnapper et bénéficier de la rançon à la libération et ensuite libérer l’espace convoité de tous concurrents afin d’en faire leur propriété privée. Cela a nécessité des coups de feu en plein souk, voyant l’arrestation et l’emprisonnement de trois burkinabés dans lequel on enregistre la fuite d’un seul, rentrant du coup au Burkina. Cette sortie manu militari des gestionnaires burkinabés et l’instauration du Patata sahiya apparaissent comme les facteurs structurant la désertion des migrants subsahariens de l’espace économique du Souk tlata. Entre-temps, il serait important de décrire le système brouetta qui apparait comme le plus grand pourvoyeur d’emploi dans le Souk tlata.

1.2. Le système du brouetta et son mode de fonctionnement

Une grande partie des grands détaillants égyptiens du Souk tlata était des entrepreneurs de brouetta. Ils ont tous bénéficié du dispositif d’ascenseur social intégré dans l’activité du brouetta. Pendant la gestion de la milice de Zintan, l’activité de brouetta était marquée par le principe de la liberté d’exercer son activité. L’idée principale était de s’acheter une brouette susceptible de jouer le rôle de mobilier des marchandises et d’établir efficacement un rapport commercial entre les différents agents économiques. L’objectif du brouetta consistait à réduire les distances. Toutes personnes ayant une brouette et une volonté de travailler dans le Souk pouvaient le faire. Les brouettes étaient mises sous scellés contre les barres de fer du Souk après chaque prestation journalière. L’éclatement de la guerre civile de 2014 a poussé certains entrepreneurs de brouetta à abandonner leur brouetta condamner sur les barres de fer des piliers de l’architecture du souk tlata. Après la crise, une bonne partie de ses individus ne sont pas de retour. Parmi ces entrepreneurs, un nombre considérable a levé le voile pour continuer leur trajectoire migratoire. D’autres ont préféré faire leur retour dans leur pays d’origine. Cette situation explosive participe au renouvellement des entrepreneurs du brouetta. L’avènement d’une nouvelle autorité issue des forces de Misrata a emmené un acteur supplémentaire dans l’équation de la gestion des brouettes. Ce libyen d’origine tunisienne allié de ses forces miliciennes a été l’initiateur de la de-condamnation de ses brouettes mis sous scellés pour en faire un fonds de commerce. Il met en place une entreprise de location. Le gardien du Souk imite cette initiative et crée la concurrence. En termes de nombre, l’entrepôt du libyano-tunisien fournit en quantité suffisante que celui du burkinabè. Et la pratique de la location s’introduisit dans le ‘’système brouetta’’. Avec la complicité des autorités miliciennes de Misrata, ils interdissent l’introduction extérieure des brouettes des particuliers sur le souk. Cette nouvelle dynamique centralise les rapports autour des deux acteurs. Désormais, le système de brouetta se privatise, conditionnant le comportement des entrepreneurs de brouetta. Par ce principe de location associé à la logique d’interdiction de pénétration des brouettas extérieurs, les entrepreneurs du brouetta deviennent, dorénavant, des agents de brouetta. Etant le plus grand pourvoyeur d’emplois pouvant mobiliser plus d’une cinquantaine d’individus, le secteur du brouetta fonctionne sous quatre piliers, à savoir ; les espaces de location, le mode de location et la division du travail.

- Deux espaces fournisseurs de brouetta

Le Souk disposait de deux fournisseurs repartis en fonction des appartenances culturelles et raciales, à savoir : l’espace noir et l’espace blanc. L’espace noir est géré par le gardien du souk. Portant la double casquette de gardien et de gestionnaire de l’entrepôt des brouettes, il mobilise les migrants subsahariens dans le sens de la décision de migrer sous sa filaire vers la forteresse européenne. Ayant traversé les dynamiques de gestion des milices successives, il a pu enraciner son rôle dans les instances administratives du souk en s’adaptant aux différentes modalités de gestion prônées par des gouvernants successifs. Quant à l’espace blanc, le gestionnaire serait le produit de l’installation des milices de Misrata. Etant née en Libye, cet originaire tunisien a pu intégrer le profil socialisé libyen sur lequel il a réussi à développer des activités additionnelles au-delà de sa principale activité. Initiateur du principe de location, il s’investit dans la vente des ordinateurs portables de seconde main. Ses magouilles souterraines associent le plus souvent les jeunes opportunistes arabophones. Pendant l’arrivée des nouvelles autorités miliciennes locales, son site de location de brouetta fut fermé à cause des accusions qui pèsent sur lui. Selon les commentaires, il aurait été impliqué dans les violences qui ont secoué le souk pendant cette période de transition. Les propos d’un aide-vendeur guinéen viennent simplifier notre description.

E2 : Le gardien a travaillé avec les gens de la Mairie avant que les militaires ne viennent. Alors que le tunisien est venu avec les gens là. Donc si les gens là s’en vont, lui aussi s’en vas. C’est comme ça. La fermeture du site de location du libyen d’origine tunisienne va participer au renforcement de la présence des anciens migrants contractualisant avec le gardien du souk. Au-delà de ces faits marquants, le mode de location reposerait sur la logique propre de chaque gestionnaire de site de location. Malgré la fermeture du site de location du libyen d’origine tunisienne, des arrangements s’effectuaient secrètement dans l’ordre des encaissements de la location des brouettas. Selon les propos d’un aide- vendeur nigérien :

E3 : Lorsqu’ils ont chassé le tunisien parce que il travaillait avec l’autre groupe, il se cache pour venir récupérer l’argent de location des brouettes auprès de ses clients. Comme c’est l’ami du gardien du marché, alors il laisse faire parce que dans la Libye, on ne sait jamais. Ces clients ne peuvent pas dire qu’ils ne vont pas payer parce que ça leur arrange dans la mesure où le gars se pointe chaque 3 ou 4 jours pour récupérer son argent. Quand il vient, on lui donne. Les gens lui donnent parfois 20 dinars ou 15 dinars. Ce qu’ils ont, ils lui donnent. Et le gars aussi ne refuse pas. Parce que s’ils disent que ils ne donnent pas au tunisien, le gardien va récupérer les brouettas et il va commencer à les emmerder.

- Mode de location

La théorie des réseaux sociaux semble appropriée pour définir les logiques d’introduction dans le système du brouetta. La location d’une brouette exige la mobilisation d’une ressource sociale en commun reliant le fournisseur et le demandeur. Et ce principe de contractualisation semble être la règle principielle sur laquelle s’accordent les deux parties. Ensuite vient celle de la pratique de la location. La location est fixée en fonction de la logique intrinsèque de chaque espace de location. La location dans l’espace noir s’élève à 4 dinars/jour et celle de l’espace blanc, 5 dinars/jour. La première expérience de location et ensuite la régularité dans la location apparaissent comme les facteurs déterminant la construction de la confiance et le moteur de la fidélisation des relations entre fournisseurs et demandeurs.

- De la division du travail entre les brouetta

La journée de travail du brouetta semble extrêmement longue, débutant de 5h à 21h30 couvrant tous les besoins du marché en matière de satisfaction du transport des marchandises. Pour une optimisation dynamique de la couverture de chaque journée de travail, les agents de brouetta ont séquentialisé la journée de travail en fonction des mouvements d’échanges économiques. La période de 5h du matin annonce l’entrée des marchandises des grossistes. Et la période de 9h marque l’installation des stands des détaillants. Ces deux moments rythment la journée de travail des agents de brouetta. Ainsi, ces agents vont se subdiviser en deux catégories marquant leur division de travail. Un groupe de brouetta structure leur action le matin entre 5h et 9h et un autre groupe prend le relai à partir de 9h jusqu’au soir. Quelques rares exceptions font une journée pleine et entière. Le premier moment de la journée de travail marque l’aspect des échanges macroéconomiques institués entre grossistes et détaillants. Il définit l’arrivée des marchandises et l’organisation des échanges économiques relevant du principe d’achat des détaillants auprès des grossistes. Ce moment d’hyper-mobilité en rapport avec l’action d’empressement d’installation des marchandises dans les stands nécessite la sollicitation de l’outil brouetta considéré comme efficace dans la minimisation du temps d’achat.

Ainsi, la période matinale se veut être le moment de débauche d’énergie et de production économique maximal. S’effectuant sur un temps court, il est perçu comme productif pour les agents de brouetta matinal. S’étendant sur quatre heures de temps situé inscrit dans l’intervalle de 5h à 9h, cette courte temporalité de travail génère en moyenne pour un agent de brouetta matinal, la somme de 25 dinars/jour. Avec l’inflation des prix de service passant de 1 dinar à 2 dinars depuis Mai 2017 pendant la période de transition, le bénéfice matinal semble être passé à 50 dinars pour un brouetta matinal. Le second moment marque la dimension des échanges microéconomiques reliant les détaillants et les consommateurs. Le service de la journée de travail débutant à 9h implique un moment de détente dans l’exécution du travail. Le bénéfice rentrant à compte-goutte s’étend sur une longue période. Ce service cible uniquement les consommateurs. Rythmé par le mouvement du déplacement des consommateurs associé à leur durée d’achat, ce service se veut lente et improductif selon la vision de la catégorie des agents du brouetta matinal. La somme de 30 dinars semble être la moyenne que peut engranger un brouetta débutant son activité de 9h et finissant le soir. En lien avec l’inflation, le bénéfice journalier semble passé à 60 dinars. En d’autres lieux, la catégorie des consommatrices apparait comme une cible de choix pour les brouetta vu leur générosité dans le paiement des prestations. Mais certains facteurs vont contribuer à la sortie du souk des brouetta notamment des migrants subsahariens. Avec en tête de liste des facteurs structurant, l’imposition du titre de santé dans les rapports économiques.

1.3. Le Patata sahiya comme outil subtil

Lors de leur gouvernance, les autorités miliciennes locales vont se pencher sur les pratiques jugées anomiques nées de la crise. Pour résoudre ces anomies, ils vont appliquer des décisions et introduire des instruments d’identification pouvant assainir l’écosystème économique. L’instauration de ces instruments marque le moment de rupture entre l’ancien monde et le nouveau, structurant l’ère de la transformation social du Souk tlata.

- Le Patata sahiya comme instrument de production économique

Selon la législation libyenne, pour qu’un étranger soit en règle vis-à-vis de la loi, il se doit de fournir un séjour dénommé Kama et un carnet de santé dénommé Patata sahiya. Vu la représentation sanitaire que se font les libyennes sur le mode de vie différentielle des étrangers associée à l’impact diplomatique structurant les relations entre les pays africains interdisant tacitement l’instauration des titres de séjour, le Patata sahiya semble plus être mis en avant que le Kama. Les précédentes gouvernances en l’occurrence celles de Zintan et de Misrata ont fait fi de ses instruments administratifs. Les raisons résideraient dans un contexte marqué par la saisie et l’appropriation des cachets administratifs effectués par des groupes armés indépendants. Ces derniers confectionnent ses documents indépendamment de l’administration centrale, rendant la possession du Kama et du Patata sahiya souvent problématique. Dans ce cadre, une bonne partie des migrants subsahariens se refusent de les établir en vue d’éviter des formes d’emprisonnement liés à la possession d’un document jugé falsifié. Ces actes d’emprisonnement peuvent être liés à l’action de se rendre dans les locaux administratifs, selon leurs logiques sociales. Par conséquent, la rationalité de l’action des migrants subsahariens s’inscrit dans la réorientation des fraies d’établissement de ses documents administratifs aux fraies de libération d’emprisonnement dans la mesure où le second évènement semble être aléatoire et irrégulier. Ainsi, les nouveaux maitres de la gouvernance décident d’introduire le Patata sahiya comme instrument d’identification dans le champ économique. Cette introduction modifie, du coup, les rapports économiques et sociaux entre les différents acteurs et agents établis, construisant un effritement de la confiance et un climat de méfiance et de suspicion. Au-delà de sa fonction d’identification, le Patata sahiya se constitue en un outil de différenciation identitaire. Sous injonction de la milice gouvernante, les détaillants ainsi que les brouettas étaient contraints de porter le Patata sahiya au cou pendant l’exercice de leur fonction au sein du souk. La détention de cet instrument médicale témoignerait de l’effectivité de l’établissement de son bilan de santé. Avec son expression visible, le port du Patata sahiya crée une distinction sociale et spatiale entre les agents économiques locaux et étrangers. L’identification marquée d’un agent économique étranger favorisait la structuration des formes de stigmatisation en lien avec la résurgence du sentiment nationaliste et patriotique tripoline. Cette stigmatisation s’opérait sous la forme de xénophobie envers les migrants arabophones ou sous la forme de racisme envers les migrants subsahariens dans un environnement politique marqué par l’absence d’un Etat de droit.

Autorités miliciennes, particuliers ou jeunes excités peuvent structurer des actes de provocation ou de racisme sans la moindre intervention extérieure, ni la moindre sanction. Au-delà de cette distinction sociale, le Patata sahiya révèle un caractère économique dans l’intentionnalité des autorités miliciennes gouvernantes. Ayant un coût réel de 50 dinars, les autorités miliciennes la facture à 150 ou 200 dinars. Et lorsque les migrants subsahariens se rabattent sur le gardien du Souk, la confection s’élève à 350 dinars. Cette surévaluation de la confection où chaque strate de la hiérarchie se serve entretient la construction d’un circuit militaro-médical, générant une économie médicale. Ce nouveau marché est alimenté par les égyptiens, tunisiens, soudanais, tchadiens, nigériens etc. composant l’ensemble des catégories des détaillants, aides- vendeurs et brouettas du Souk. Partant du principe identitaire, le Patata sahiya permet aux nouvelles autorités de s’organiser et de s’installer efficacement dans le tissu économique et social du Souk tlata.

- Le Patata sahiya comme instrument d’exclusion économique : défection et désertion des migrants subsahariens La poussée vers la sortie des forces armées de Misrata de l’espace urbain de Tripoli s’inscrivait dans un contexte lié à la destruction des quartiers blacks. Ces espaces situés dans la municipalité de Garigaresh sont considérés comme des niches de l’industrie migratoire. Cette victoire sur les milices de Misrata et l’application des politiques migratoires ont permis la montée des groupes armés locaux et leur entrée au sein de la gestion des espaces économiques. Le ciblage des intérêts des agents économiques étrangers au sein du Souk tlata effectuées par les milices locales n’a été que le prolongement du contexte global. L’introduction du Patata sahiya relevait de l’expression accomplie de la politique structurelle mise en place pendant cette période. De ce fait, l’effet Patata sahiya vient défigurer les rapports entre les migrants et les nouvelles autorités du marché, débouchant sur une rupture des liens de collaboration. Les arrestations et les actes de violences perpétrées sur les migrants subsahariens considérés comme des agents économiques circonstanciels ont favorisé le chamboulement de l’organisation économique du souk dont la désertion représentait l’indicateur immédiat. Cette désertion des migrants subsahariens a créé un vide substantiel au niveau du secteur du brouetta et de celui des aides-vendeurs. Cette période de latence témoignait de l’importance des migrants subsahariens dans bien des secteurs poumon du souk. Le vent Patata sahiya balaye les moins résistant notamment les plus jeunes des migrants et renforce la présence des plus anciens. Cette catégorie jeune est celle de la frange non permanente des migrants se produisant en opportuniste économique. Ces derniers voulaient se créer un portefeuille financier pouvant soutenir la continuation de leur projet migratoire. Entre Janvier et Avril 2017, les quartiers blacks (Garigaresh) vomissaient, malgré eux, une quantité considérable de migrants ayant échappés aux interventions des forces militaires de Tripoli. Pendant la destruction des quartiers blacks de Garigaresh, le Souk tlata se transformait littéralement en lieu de refuge référentiel pour les migrants déguerpis. Aménageant au soir tombé des espaces dortoirs au sein du souk, les migrants subsahariens déguerpis se construisaient des feux autour duquel ils se réchauffent dans un contexte climatique hivernal.

Le Souk tlata était en même temps le lieu d’approvisionnement alimentaire de proximité pour les migrants subsahariens déguerpis et leur dortoir. Une foule de migrants se sont constitué en sans domicile fixe (SDF), errant et circulant sur l’étendue du champ d’action du souk pendant la journée et squattaient le soir les abris à proximité des entrepôts fournisseurs de brouetta. Cette folle période a vu la densification de l’espace économique du souk à partir de la présence marquée des migrants subsahariens. La lutte autour de la location des brouetta était à son pic. Les anciens ont commencé à ne plus être titularisés dans l’ordre de la priorisation des demandes de location. Au préalable, cette demande était fonction du statut d’ancienneté autour duquel la titularisation résidait dans la régularité journalière en termes de location. Changement de cap, les modalités de priorisation se sont redéfinies à travers l’action hyper-présente des migrants SDF (Sans Domicile Fixe). Ces derniers avaient la possibilité de se présenter un peu plus tôt devant les entrepôts que les anciens, pour la location des brouettas. Quant aux anciens, ils sont logés en dehors, précisément dans les quartiers environnant le Souk tlata.

Déjà à partir de 5h 45 min, il y avait rupture de stock. Dans cette perspective, le marché du brouetta avait atteint son paroxysme en matière de compétition entre agents. Ce phénomène inédit se manifestait pendant la gouvernance des forces de Misrata. Contrairement au premier, ce potentiel de migrants subsahariens a été perçu par les nouvelles autorités miliciennes comme une opportunité de production économique sous l’angle d’imposition du Patata sahiya. Cette opération engendre deux options génératrices de revenu, à savoir ; pour les migrants disposant d’un passeport, l’établissement du Patata sahiya s’effectue sur place dans un délai court. Mais concernant ceux ne disposant pas de minimum de support d’identification, ces derniers sont conduits dans des centres de rétention où ils sont plongés dans une dynamique de libération sous condition monétarisée. Cette libération monétarisée s’intercalait entre les sommes de 1000 et 2000 dinars libyens. L’ensemble de ce dispositif institutionnel œuvrant à la fragilisation des jeunes migrants favorisait involontairement l’enracinement des plus anciens. Les anciens migrants semblaient assis sur un capital potentiel d’enracinement.

L’imposition du Patata sahiya vient effacer la concurrence instituée entre les anciens et les jeunes migrants circulants. Le retrait des jeunes migrants du circuit économique occasionne l’inflation des demandes des services dans lequel les anciens se voient déborder, au niveau du secteur du brouetta comme de celui des aides-vendeurs. Et comme le stipule la loi du marché, la forte demande en service de brouetta a entrainé l’inflation du prix du service, passant de 1 dinar à 2 dinars. Au niveau des aides- vendeurs, une bonne partie des anciens ont investi ce secteur, voyant au niveau de leur carrière professionnel une sorte de promotion sociale, quittant un stade d’emploi précaire rythmée par des incertitudes à un stade d’emploi assurée et sécurisé. Contrairement à la non-résistance des jeunes migrants opportunistes et SDF, les anciens ont renforcé leur présence dans l’environnement économique à travers une façon particulière de mobiliser et d’utiliser leur capital social, culturel et expérientiel au moment opportun. Peu nombreux que les jeunes migrants, les anciens s’enracinent. Avant l’entrée en scène d’une nouvelle catégorie d’acteurs économiques majoritairement arabophones, les anciens migrants subsahariens avaient déjà occupés les bonnes places.

- Le Patata sahiya comme instrument d’inclusion économique : l’entrée d’une nouvelle catégorie Dans sa fonction d’exclusion, le Patata sahiya favorise l’inclusion d’une catégorie endogène de la population libyenne. Cette ouverture est portée sur les différents secteurs d’activité pourvoyeurs d’emplois notamment le secteur de brouetta et les aides-vendeurs. Mais le secteur de brouetta se présente comme la porte d’entrée initiale des entrepreneurs économiques du bas. Comme le stipule les propos d’un aide- vendeur malien :

E4 : Moi, je pense que le brouetta est la porte d’entrée dans ce marché. Ça te permet de rentrer en contact avec des personnes. Lorsque tu dures dans le marché, tu as la possibilité de maitriser l’arabe et cela peut te permettre d’avoir un bon métier dans le marché. Des catégories sociaux multiples investissent l’espace économique du souk après le ‘"départ forcé’’ des migrants subsahariens.

Ce sont entre autres les handicapés, les Tawarga, les personnes âgées et les enfants (scolarisé/déscolarisé) qui intègrent le secteur de brouetta. Au vu de leur profil sociologique, ces individus ou groupes individus font partie des catégories marginalisées de la société libyenne, si l’on inclue la présence des femmes mendiantes postées aux quatre entrées du Souk tlata. Cette désertion permet à des individus intégrés dans le groupe des milices gouvernant de se reconvertir en détaillant. De l’activité militarisée au métier de détaillant, les milices détournent les convois de certaines marchandises ou interdisent la pratique de la vente de certaines denrées alimentaires en vogue afin d’avoir le monopole dans ce secteur prohibé.

Nous avons en mémoire la réquisition d’un convoi de laye commandé par un détaillant égyptien à un grossiste libyen. Les autorités militaires du marché ont interdit le débarquement et ont procédé par la saisie de cette denrée. Le lien commercial fonctionne avec l’idée du crédit et de la confiance, le convoi de laye était estimé à 40.000 dinars libyens. Ainsi, le monopole de certains secteurs d’activité par la milice au détriment des acteurs déjà présents affaisse la concurrence et frise la confiance, support sur lequel repose la structuration de la dette matinale. Plus loin, l’imposition des taxes abusives restructure le champ économique. Cette action contribue à l’inflation des services et des biens. Le système brouetta observe une inflation de la location à celle du service. L’augmentation des taxes d’entrées des marchandises sur le marché provoque l’inflation du prix des denrées alimentaires et conduit à la sortie d’acteurs économiques moins résistant. Inversement, cette situation conduit aussi à l’entrée de nouveaux acteurs plus compétents.

Dans cet ordre d’idées, il est bien de signaler la réputation précaire des soudanais en matière de remboursement des prêts contractés. Une bonne quantité de détaillants soudanais a quitté le circuit de marché en 2017 suite à l’incertitude que gêneraient le profil des profits et l’imprévisibilité de la gouvernance des nouvelles autorités miliciennes. Ils ont emporté avec eux une dette colossale qui peut avoisiner le montant de 500.000 dinars libyen. Par la suite, les grossistes libyens se sont interdits de donner des prêts de marchandises à cette catégorie économique jugée insolvable. Par conséquent, les relations socioéconomiques entre grossistes libyens et détaillants égyptiens se sont renforcées davantage excluant même, du jeu des prêts matinaux, les détaillants libyens jugés imprévisibles.

Notons que les actions des milices locales s’inscrivaient dans un double contexte : international et local. Le contexte international est marqué par la conférence de Malte du 2 février 2017. Au menu de cette conférence européenne, le Brexit et l’immigration. Sans doute, elle a eu de l’effet avant et après son initiation sur les politiques migratoires en Libye. Et la destruction de certains quartiers blacks de la municipalité de Garigaresh du 15 janvier 2017 en serait le produit en amont. Au niveau local, le gouvernement de Saraj adoubée par les accords de Skirat sous l’égide des Nations Unies venait de prendre ses marques à Tripoli en Mars 2017. Certaines milices de Misrata s’y étaient opposées, déclenchant une révolte locale rattachée à la perception des milices étrangères (Misrata et Zintan etc..) vues comme une menace potentielle pour la sécurité de Tripoli.

2. Discussion

La gouvernance milicienne a construit une diversité de modèle de gestion qui est fonction des différents acteurs aux commandes. Le modèle de gestion de la milice de Zintan inscrivait dans un contexte global marqué par la gouvernance du CNT. Cette milice a proposé un modèle souple de gouvernance locale basée sur l’incitation à l’entreprenariat au sein du Souk tlata. Quant au modèle de gouvernance des milices de Misrata, nous assistons à l’introduction d’une gouvernance libérale dans laquelle les mixités ethnoculturelles définissaient la base des interactions économiques. Mais celle des milices locales originaire de Tripoli s’est caractérisée par une rupture totale, remettant en cause les fondamentaux du souk et priorisant le modèle autarcique dans lequel les autochtones seraient privilégiés. Cette diversité de gouvernance milicienne particulière structure le conditionnement social dans lequel s’inscrit le migrant subsaharien se présentant sous différentes variétés de statuts sociaux ; Brouetta, aide- vendeur, éboueur ou migrant collecteur-alimentaire. Le port du titre de santé (Patata sahiya) apparait comme un code extérieur, un indicatif social présentant l’hôte ou l’étranger dans l’espace économique comme un étranger. Cette manière de procéder des milices locales ressemble aux choix politiques de des-hospitalisation du régime de Vichy lors de l’occupation allemande en France. En effet, le régime de Vichy a reconduit les Juifs à la frontière de la communauté française, les a rétrogradés au statut d'hôtes là où ils étaient déjà des accueillants, les a accusés d'avoir abusé de l'hospitalité française (A. Gotman ; 2001). Les résultats de l’étude d’Anne Gotman dans son ouvrage intitulé « Le sens de l'hospitalité » paru en 2011 proposent de redéfinir le sens de l’hospitalité construit historiquement par l’Etat français. Dans cette étude, elle nous propose une définition de l’hospitalité dans lequel l’hôte n’a que des demandes mais ne possède pas de droit. Elle la nomme « l'hospitalité à rebours », en rapport avec l'expulsion des Juifs de France.

Dans l’expression du régime de Vichy, l’appartenance de l’étranger doit être signifiée dans le sens où il est résolu à être cantonné, sédentarisé, domicilié, identifié (A. Gotman ; 2001). Comparativement à ce fait historique, nous mobilisons la situation précaire du port du titre de santé exigé par les milices locales, permettant à ces derniers d’identifier et de catégoriser les agents économiques étrangers des locaux dans le Souk tlata. La puissance économique et l’homogénéité socioculturelle vont permettre aux migrants égyptiens d’être mieux traités que les migrants subsahariens. Ce constat se justifie par le fait que les milices locales vont remplir deux bus de migrants subsahariens, les retirant du circuit du souk afin de les regrouper dans les centres de détention.

Dans cette action, l’on peut voir une forme de déportation dans la mesure où les migrants subsahariens qui ne disposent pas de capital social, économique ou culturel dans ces centres de rétention peuvent y mourir. L’immigré, en l’occurrence le « Subsaharien », est perçu comme un potentiel usurpateur des privilèges auxquels aspirent déjà ardemment les citoyens des pays du Maghreb. (S. Bredeloup, O. Pliez ; 2005, citant Sayad ; 1991). Ce conditionnement structurel a produit un type acteur migrant recomposant avec les nouveaux principes ou sortant du système du souk. Ses choix et manières de faire proviennent des prédispositions du migrant en posture de résilience ou pas. La résilience peut s’effectuer dans l’acte de résister au changement en utilisant le changement comme opportunité pour se repositionner favorablement dans le système du souk. Ou utiliser le changement comme codes, informations, ou forces contraignantes poussant vers la réinvention de soi en dehors du circuit du souk.

Comme l’exemple du choix de se réinventer dans le champ des espaces ‘’tchad’’, choix prôné par la majorité des migrants subsahariens exclus du Souk tlata pendant cette période 2017-2018. C’est ce que Henrick Vigh a appelé la « navigation sociale » (V. Foucher, 2009). Dans les résultats de sa thèse de doctorat menée sur les argentas - jeunes armés à la solde du président Nino Viera - en Guinée-Bissau, Henrick Vigh met en lumière la réinvention par les armes de ses jeunes bissau- guinéens d’ethnie papel. Le choix des armes s’est proposé comme l’option favorable dans ce milieu hostile. Ainsi la navigation sociale définit les mouvements tactiques des acteurs dans des environnements instables, soit pour accroître leurs possibilités sociales, soit tout simplement pour survivre (H. Vigh ; 2006). En fin de compte, certains migrants subsahariens ont repris du service au sein du Souk tlata longtemps après, aidés sans doute par la résurgence du conflit opposant les forces du général Haftar contre celles de Tripoli en avril 2019. Pendant ce conflit d’un an, les milices de Tripoli se sont fait épauler par le retour des milices de Misrata et de celles de Zintan, reprenant leur position géographique initiale, y compris celle du Souk tlata. Ayant marqué par leur emprunte, les milices de Misrata ont repris le contrôle de la gestion du Souk tlata. Inversement, les milices locales se sont réinventées dans la structure de la police municipale locale. La question de la gouvernance milicienne portée sur la gestion des migrants semble être moins abordée dans la littérature francophone.

Ce qui renvoie à l’intérêt qu’apporte cet article aux sciences sociales.

Son originalité et ses données d’immersion risquées place les résultats de cet article comme spécifiques. Mais ses limites reposent sur le choix de la méthode qualitative dont ses caractéristiques ne restituent pas des données chiffrées sur des questions assez intéressantes comme le nombre de migrants subsahariens en exercice dans le Souk. Aussi le choix descriptif des résultats et le peu d’analyser qu’il propose laisse la production inachevée. Au risque de succomber dans une méta-analyse, nous avons suspendu l’article à des formes descriptibles inspirées par la démarche wébérienne. La question de la gouvernance des milices de Zintan n’a pas assez été élaborée compte tenu du peu de données en lien avec. Le conditionnement structurel du souk notamment le cycle de gouvernance milicienne a été suffisamment décrit en lieu et place de la place du migrant dans tout ce système.

Conclusion

Le Souk tlata a été marqué par deux grandes transitions en termes de gouvernance. La première s’est déroulée en 2014 et la seconde en avril 2017. Toutes ces deux transitions sont le résultat des dynamiques militaro-politiques générales. En d’autres termes, les dynamiques socio-économiques du Souk tlata apparaissent comme le reflet de la situation socio-politique globale. Par contre, la gouvernance désigne donc une technique de gestion sociale reposant sur la création d’une relation de confiance entre des différents acteurs (J. Pitseys ; 2010). Pourtant, la question de la gouvernance milicienne est à l’opposé de la définition officielle parce qu’elle ne met pas en avant la dimension de l’éthique, ni celle de la transparence. Tirant la source de sa légitimité des accords de Skirat, elle est plus caractérisée par la production de norme plus efficace et effective (Idem; 2010).

Dans cette perspective, la variation de la gouvernance milicienne reconfigure périodiquement le cadre socio-économique du Souk tlata. Elle influence la démographie du Souk tlata, réinvente ses habitus sociaux grâce à l’introduction de nouveaux principes et codes (titre de santé) menant à la construction de nouvelles valeurs (résilience). En somme, les effets de cette gouvernance milicienne reconstruisent l’ordre social. Continuité et discontinuité ont rythmé les rapports sociaux entre migrants et milices. L’imposition du titre de santé (Patata sahiya) colporté dans des logiques de violence, l’augmentation des taxes et la monopolisation de certains secteurs d’activités par les autorités militaires vont conduire au retrait momentané de certains migrants en général et des subsahariens en particulier, remplacés par les fauchets de la crise libyenne (Retraités, Tawarga, Adolescents, Handicapés, Déplacés de guerre etc..). Il faut voir dans cette politique d’imposition du titre de santé, une forme d’intégration des déclassés sociaux (fauchets de la crise) dans le tissu économique du souk. Cependant, la place du migrant subsaharien se trouve dans le réglage de sa visibilité voire dans son invisibilité dans l’espace public libyen. Selon un collègue libyen enseignant à la Plateforme Pédagogique de Tripoli (PPT), la question migratoire émerge lorsque la population libyenne sent une très grande visibilité des populations subsahariennes dans l’espace public. Et les medias locaux seraient un acteur déterminant dans la mise à jour de la visibilité des migrants subsahariens dans l’espace virtuel, impactant l’espace public.

Franck Donald KEHI
Département Anthropologie et Sociologie
Université Alassane Ouattara,
Cote d’ivoire

Akofena, Abidjan, Numero 6, Vol 4, pp145-164


Octobre 2022



Références bibliographiques

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URL:
https://news.un.org/fr/story/2017/12/368792-libye-loim-rapatriera-15000- migrants-vers-leurs-pays-dorigine

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21 Octovre 2022



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