Intermittents

Le désarroi des exclus par erreur et la surprise des choyés du système

Vingt mois après son annonce contestée, le nouveau régime d'indemnisation des artistes et techniciens du spectacle atteint tout juste son rythme de croisière. Mais l'annonce d'un déficit record pour l'année 2004 et l'application, depuis le début 2005, de l'ensemble des dispositions héritées du nouveau texte, permettent déjà de partager le monde des intermittents en deux groupes : les gagnants et les perdants du protocole.


Les seconds avaient été en partie ciblés. Le Medef comme la CFDT avaient ainsi annoncé que l'objectif du nouveau texte était de "professionnaliser" le monde du spectacle. Ecarter du régime ces jeunes artistes qui, après deux ou trois années d'intermittence, "quittaient le métier pour entrer dans la vraie vie" , comme le résume Danièle Rived, secrétaire générale de la CFDT-Spectacle. "Eviter que les nouveaux prennent le boulot des anciens à des salaires de misère" , ajoute-t-elle. Cet objectif, le protocole semble l'avoir atteint. Selon l'Unedic, le nombre de nouveaux entrants entre janvier et octobre 2004 a baissé de 36 %, passant de plus de 10 000 à environ 7 000.

En partie ciblés, seulement. En effet, depuis quelques mois, l'Unedic et les services du ministère de la culture sont assaillis par les victimes collatérales du protocole. Professionnels reconnus, installés souvent depuis de nombreuses années, ils subissent les contre-coups d'un des innombrables changements qui ont accompagné le nouveau texte : celui des "nomenclatures" , autrement dit l'intitulé de leur métier.

Gilles Porte n'est pas à proprement parler un inconnu. Depuis la dernière cérémonie des Césars et le sacre de Quand la mer monte , qu'il a écrit et réalisé avec Yolande Moreau, son nom a même franchi les limites du cercle professionnel. La semaine dernière, pourtant, il s'est rendu, pour la cinquième fois en quelques mois, au centre spécialisé des Assedic de Paris, pour réclamer une régularisation de son dossier.

Un de ses employeurs l'avait en effet déclaré comme "chef opérateur" . Or, depuis 2004, la dénomination officielle a changé. Le producteur aurait dû inscrire "chef opérateur pv" (pour "prise de vue" ). "Ils m'avaient retiré 250 heures. J'étais donc sous les 507 heures obligatoires. J'ai fait refaire les bulletins de paie et les contrats, j'ai rempli de nouvelles feuilles Assedic, mais rien à faire..."

Depuis décembre, Gilles Porte ne reçoit donc plus aucune indemnité. Convaincu qu'il s'agit "d'une vraie stratégie pour dégoûter le maximum d'intermittents" , il hésite encore sur la marche à suivre. "Y retourner la semaine prochaine et poser ma statuette sur la table. C'est un peu ridicule, mais assez tentant."
La majorité des autres - des centaines, voire des milliers, selon les syndicats - ne disposent pas de cet atout. Spécialiste du "repérage" , phase préparatoire avant le doublage ou le sous-titrage d'un film, Sylvie Guiot était déclarée, chaque année, comme "opérateur vidéo" . Son principal employeur a renouvelé la manoeuvre cette année. Erreur fatale : la dénomination n'existe plus. "Sur mes 576 heures, 528 sont tombées. Ils me l'ont annoncé en janvier, après deux mois d'attente. Les pièces ont été renvoyées corrigées, j'ai fait une réclamation. La réponse a été négative."

Marc Blezinger, lui, attend la sienne depuis neuf mois. Créateur d'images pour le théâtre et scénographe, il affiche sur son CV les noms de Bob Wilson, Luc Bondy, Klaus Michael Grüber ou Patrice Chéreau. La compagnie Le Zéphyr est moins connue. Elle a surtout commis l'erreur de le déclarer comme "réalisateur", appellation fautive pour une entreprise du spectacle vivant. De 552 heures, le quota de Marc Blezinger est tombé à 424 heures. De demande gracieuse en mise en demeure, le créateur d'images a multiplié les réclamations, engagé un avocat, sonné à toutes les portes. Il envisageait, mercredi 24 mars, de saisir le médiateur de la République.

Il ne devrait pas en avoir besoin. Interrogée par Le Monde , l'Unedic a répondu que son cas "venait d'être réglé" par "un chèque de 8 600 euros" . Celui de Gilles Porte "devrait l'être prochainement" . Quant à Sylvie Guiot, "nous attendons une dernière démarche de son employeur ". Pour l'Unedic, du reste, la faute d'ensemble en revient aux employeurs. "Les nouvelles nomenclatures, ce sont les professionnels qui les ont écrit es" , explique-t-on. Regrettant une "mise en oeuvre difficile" , l'organisme assure que "personne ne restera sur le bas-côté".

Des assurances qui adouciront, peut-être, la mauvaise conscience de ceux, nombreux, que le nouveau système a, au contraire, choyés. Leur profil ressemble pourtant à s'y méprendre à ceux de Gilles Porte ou Sylvie Guiot. Mais leurs employeurs ne se sont pas trompés d'intitulés. Aussi, ils ont bénéficié à plein du nouveau mode de calcul de l'indemnité journalière et de la réduction des périodes dites "de carences" , durant lesquelles un intermittent ne reçoit rien.

Françoise officie comme régisseuse, dans la musique, en région parisienne, depuis dix ans. Environ 100 jours de travail par an, payées entre 122 et 150 euros, 700 à 800 heures déclarées : son travail connaît une régularité de métronome. Avec ses pauses - l'été, quand les festivals attirent tous les musiciens en province, et l'hiver, quand le froid gèle les enthousiasmes - et ses coups de bourre. "Chaque année, je recevais à peu près les mêmes indemnités. 45 euros par jour non travaillé. Cette année, je suis passé à 67 euros. En moyenne, ça me fait 500 euros de plus par mois."

Même situation pour Rachel, scripte, passée de 43 à 63 euros d'indemnité perçus chaque jour chômé, ou Sophie, chef monteuse, augmentée de 74 à 98 euros. Quant à Marc Daquin, chef monteur lui aussi, il n'en revient toujours pas d'avoir vu ses allocations "gonflées par les nouveaux calculs" ."Je touchais 70 euros, j'en reçois 88 par jour. Et autour de moi, c'est la même chose partout. Soit on perçoit davantage, soit on est éjecté du système parce qu'on n'a pas la bonne nomenclature."

Une alternative qui n'a en tout cas pas permis de faire baisser le déficit des annexes 8 et 10, qui a atteint un niveau record de 952 millions d'euros en 2004 ( Le Monde du 22 mars). A l'Unedic, on veut croire que "la progression a été ralentie" . Pas question toutefois d'oser le moindre pronostic pour 2005. Et pour cause : l'organisme promet de "régler le problème des nouvelles nomenclatures" , ce qui alourdira mécaniquement la note. Quant à l'indemnité journalière, un mode de calcul modifié vient d'entrer en vigueur, qui devrait, selon l'organisme, "favoriser ceux qui travaillent beaucoup" . De quoi promettre de sérieuses tensions à l'heure des renégociations.

Nathaniel Herzberg

Mars 2005


Abonnez-vous au Monde

 
Retour à la Culture

Retour au sommaire


INFORMATIQUE SANS FRONTIERES
Mail : contact@informatiquesansfrontieres.org
   
 
Paris
France
Europe
UniversitÈs
Infos
Contact