Correspondances du Monde et Informations sans Frontières appellent à refuser la hausse des frais d’inscription pour les étudiants africains
Par Jean Digne, président de Correspondances du Monde, et de Gilles Marchand, président d'Informations sans Frontières.


Correspondances du monde et Informations sans Frontières appellent à refuser la hausse des frais d'inscription universitaires en France et reproduisent l'appel de 44 écoles d'art françaises, ainsi qu'un article du Monde signé par de nombreux professeurs et responsables universitaires.

Dernière Minute : Treize universités viennent d'annoncer qu'elles n'appliqueront pas l'augmentation des droits d'inscriptions pour les étudiants non européens à la rentrée 2019. Un geste engagé et l'occasion de revenir, avec France Culture, en archives, sur ces illustres étrangers qui ont étudié en France...


L’annonce faite d’une hausse généralisée des droits d’inscription pour les étudiants étrangers, en particulier africains, est une décision inadaptée dont on ne soupçonne pas suffisamment la nocivité. « Quand un combattant est coincé dans un village sans porte de sortie il se met à lutter avec l’énergie du désespoir » Ce proverbe africain est transposable au contexte actuel et on comprend bien les éléments de risque qui l’accompagnent. Plus grave encore, la formation intellectuelle et universitaire des étudiants venus découvrir notre pays est un pari sur l’avenir dans la mesure où la diaspora à venir et les jeunes revenus dans leur pays seront les meilleurs ambassadeurs de notre culture et de nos valeurs, ils seront une chance pour tous. Si cette relation s’affaiblît ou même disparaît nous perdrons un relai essentiel de notre diplomatie et coopération future. D’autant plus que nous avons nous-mêmes le besoin d’envoyer nos propres étudiants en Afrique et ailleurs où ils auront la possibilité d’apprendre d’un continent qui sera essentiel pour leur avenir. Les ressources intellectuelles de ces étudiants seront motrices . Nos entreprises auront à commercer avec l’Afrique où une bonne part de leur activité pourra et devra être générée. Nous avons besoin de sortir de la vision paternaliste d’une Europe en but à une modification profonde du monde où les autres ensembles continentaux n’ont pas la même approche. L’Europe peut à ce titre se révéler être une chance mutuelle pour l’Afrique si elle change de philosophie et établit avec elle une relation adulte et plus équilibrée. Elle peut grandement devenir facteur de prospérité et de stabilité. C'est grâce aux étudiants étrangers que la France construit avec le Monde. Et un accueil constructif de ces étudiants qui viennent des pays colonisés à l'époque par la France est une évidence.

L’économie budgétaire est souvent mue par une vision myope qui fonctionne parfois à court terme mais qui peut se révéler catastrophique à plus long terme. C’est pourquoi nous nous élevons aujourd’hui contre une décision contre-productive et dangereuse qui grèverait notre propre avenir et nous vous invitons à soutenir cette initiative en signant cet appel. Un grand merci à tous ceux qui défendent ces valeurs essentielles..
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« Nous, écoles françaises d’art, refusons la hausse des frais d’inscription pour les étudiants africains »
Par Collectif Publié le 05 décembre 2018 à 11h13

Dans une tribune, 44 établissements dénoncent la stratégie « discriminatoire » que représente l’augmentation des droits universitaires pour les étrangers.

Tribune. Récemment, la France a envoyé deux puissants signaux à destination des pays africains, avec lesquels bon nombre des écoles supérieures d’art et de design françaises collaborent.

Le premier fut la décision du président Emmanuel Macron de « restituer sans tarder 26 œuvres réclamées par les autorités du Bénin, prises de guerre du général Dodds dans le palais de Béhanzin, après les sanglants combats de 1892 », suivant ainsi les préconisations du rapport de Bénédicte Savoy et Felwine Sarr sur la restitution du patrimoine culturel africain.

Le second fut l’annonce par le premier ministre, Edouard Philippe, de l’augmentation des frais d’inscription des étudiants non européens dans les universités françaises – l’une des mesures, disait-il alors, permettant de renforcer l’attractivité de la France et de soutenir l’ambition du projet « Choose France ».

Ces deux signaux émis « en même temps » ont de quoi troubler : le premier propose, avec les restitutions d’œuvres présentes par milliers dans les musées européens (70 000 au seul Quai Branly), de fonder « une nouvelle éthique relationnelle » avec les pays africains. Le second, en insistant sur l’objectif d’attirer des étudiants de pays non africains (et non francophones), menace d’assécher considérablement les liens avec l’Afrique et sa jeunesse.

Le gouvernement promet bien quelques bourses supplémentaires, mais en faisant un seul cas de la jeunesse du monde extra-européen dans son entier ; et alors que l’on sait que 45 % de ces étudiants viennent d’Afrique, la stratégie proposée apparaît fondamentalement discriminatoire. Ce qui apparaît est une règle économique de base : modifier la clientèle par le prix de l’objet (une inscription à 2 770 euros au lieu de 170 en licence, de 3 770 euros au lieu de 243 en master et 380 en doctorat). Les étudiants africains peuvent, a minima, se sentir les laissés-pour-compte de cette nouvelle stratégie.

Enthousiasmante jeunesse

En ce qui concerne l’Association nationale des écoles supérieures d’art, nous déclarons sans ambiguïté choisir le mouvement proposé par le premier signal et refusons de participer à l’émission du second tant qu’il ne sera pas augmenté d’une véritable politique concertée avec les pays extra-européens en question. Il y a en effet dans le rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain et dans le geste d’Emmanuel Macron initié à Ouagadougou, en novembre 2017, tous les ingrédients permettant de construire un nouveau type de relation avec l’Afrique et son enthousiasmante jeunesse.

Bénédicte Savoy et Felwine Sarr écrivent : « L’ultime sens de la démarche des restitutions de biens culturels africains est de fonder une autre éthique relationnelle. En travaillant l’espace du symbolique, celui-ci devient tectonique ; ses répliques et les nouvelles valeurs qu’il charrie ne laisseront indemne aucun lieu d’échange entre les sociétés africaines et européennes (l’économique, le politique, le sociétal). Les restitutions des biens culturels africains initient donc une nouvelle économie de la relation, dont les effets ne sauraient se limiter à l’espace culturel ou à celui des échanges muséographiques. »

Si, comme tout semble l’indiquer, le mouvement des restitutions est enfin lancé, il donnera l’occasion à tous les concernés de mettre au travail une histoire qui produit encore aujourd’hui les effets mortifères que l’on sait. Il contribuera, du moins peut-on l’espérer, à avancer enfin en dehors des rets de la colonialité.

« Ces objets, qui pour une grande part ont été arrachés à leurs cultures d’origine par la violence du fait colonial, qui ont pérégriné à leur corps défendant, mais ont été accueillis et soignés par des générations de conservateurs dans leurs nouveaux lieux de vie, portent désormais en eux une part irrémédiable d’Afrique et d’Europe, écrivent les auteurs du rapport. Ayant incorporé plusieurs régimes de sens, ils sont devenus des lieux de la créolisation des cultures et sont de ce fait armés pour œuvrer comme les médiateurs d’une nouvelle relationalité. »

Passerelles artistiques

Nous, écoles supérieures de la création artistique, participerons autant que nous le pourrons à l’édification de cette « nouvelle relationalité ». C’est pourquoi, en vertu de la responsabilité qui est la nôtre, à travers les professionnels que nous formons, dans la configuration visuelle, matérielle et imaginaire du monde de demain, nous ne voulons pas inaugurer ce qui pourrait être une nouvelle époque en augmentant sans plus de discussion de 1 400 % nos frais d’inscription pour la jeunesse du continent africain.
Plutôt que de commencer par installer des barrières économiques, nous multiplierons les passerelles artistiques et nous ferons en sorte de continuer d’accueillir les futurs artistes, designers, créatrices et créateurs venant d’Afrique, mais aussi d’Asie, du Moyen-Orient, d’Amérique du Sud, etc.

Si cette jeunesse le désire, elle trouvera dans nos écoles les moyens de ne pas manquer le rendez-vous que propose le rapport de Bénédicte Savoy et Felwine Sarr : elle apprendra à faire advenir des formes (films, expositions, installations, objets, meubles, éditions, scénographies, dispositifs multimédias…) qui, tout en affrontant de manière critique la morbide histoire de la colonialité, sauront « stimuler les échanges et le dialogue ».

Ces artistes, créatrices et créateurs, ne feront qu’une partie de cet immense travail, mais ils feront assurément leur part. Cette perspective ouverte par les restitutions, qui vise un monde commun et pacifié, un monde dans lequel l’axe Sud-Nord n’est pas une succession de murs et de barbelés doublés de guichets où l’on paye en dollars ou en euros, nous apparaît autrement désirable que celle d’une énième tentative d’extraction de richesses au seul profit de quelques-uns.


21 Janvier 2019

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