Un nouveau modèle de croissance

Par Claire Guélaud





Trois anciens du groupe de « la Rotonde » – qui avait mis, en 2012, son expertise économique au service du candidat socialiste à l'élection présidentielle – ont repris leur plume pour tenter de convaincre François Hollande et son nouveau premier ministre que la France n'est pas condamnée à une croissance faible, voire nulle. C'est une bonne nouvelle au moment où l'Insee nous promet une « reprise modeste » (+ 0,1 % au premier trimestre ; + 0,3 % au deuxième), en deçà de celle de la zone euro (+ 0,4 % et + 0,3 %)
.

Pour avoir une chance d'être entendus du chef de l'Etat et de Manuel Valls, dont le discours de politique générale, mardi 8 avril, est très attendu, nos trois oiseaux de bon augure (Philippe Aghion, Gilbert Cette, Elie Cohen) ont trouvé un argument massue :



« La poursuite des réformes aide à la réélection », écrivent-ils dans Changer de modèle (Odile Jacob, 180 pages, 19,90 euros), après avoir analysé les expériences australienne, canadienne et suédoise des années 1990.

Ces pays ont réformé en profondeur la structure et la gouvernance de leurs dépenses publiques et assaini leurs finances « sans recourir à une ponction fiscale excessive et sans remettre en cause ni leur modèle social ni l'emploi ou leur potentiel de croissance à moyen et long terme ».



« PENSER AUTREMENT »

Si d'autres l'ont fait – sans drame –, pourquoi pas nous ? Telle est la lancinante question à laquelle se sont heurtés les gouvernements de François Fillon et de Jean-Marc Ayrault. Il en va du courage politique, mais pas seulement, expliquent nos trois auteurs. Les Français doivent apprendre à « penser autrement », délaisser le « logiciel » des « trente glorieuses » et d'une croissance tirée par le rattrapage et l'imitation technologique, « rompre avec une vision simpliste et/ou dépassée du keynésianisme ».



« Dans une économie de l'innovation et mondialisée, la gestion macroéconomique par la demande perd de son efficacité. En effet, relancer la dépense publique pour stimuler la demande intérieure peut se traduire par un creusement du déficit commercial et non par une reprise de l'activité domestique (...). Par ailleurs la relance par la consommation finit par créer des déséquilibres réels et financiers », analysent MM. Aghion, Cette et Cohen.



Ces chercheurs, qui ont beaucoup plaidé en faveur d'une politique de l'offre socialo-compatible, déplorent « la représentation décalée » que les Français ont des réalités ou des mécanismes économiques ou sociaux : « Ils sont souvent convaincus que la croissance est affaire de consommation et non d'efficacité productive, et que la protection aux frontières plus que la conquête des marchés est la solution pour promouvoir l'emploi », observent-ils.



L'idée d'un choc de compétitivité ne leur fait pas peur. « Depuis la création de l'euro, la dévaluation monétaire n'est plus une option pour restaurer la compétitivité de l'économie française ; si cette dernière est insuffisante, il faut lui substituer la dévaluation fiscale » sous la forme d'un transfert de la charge du financement de la protection sociale des entreprises vers la contribution sociale généralisée ou d'autres impôts de type TVA.

IDÉES FAUSSES ET VIEILLES LUNES

La TVA, justement, parlons-en : les Français la jugent « détestable », parce qu'elle est la lointaine héritière de la gabelle et qu'elle frappe de la même manière la consommation des riches et des pauvres. Ils oublient que le contexte est plutôt déflationniste, qu'une TVA sociale profite à l'emploi domestique en renchérissant les biens importés et qu'elle permet d'alléger le coût du travail et de faciliter la convergence vers les standards européens.



Sur la fiscalité, la France ne serait pas loin d'avoir tout faux, à en croire les auteurs qui résument leur perplexité en ces termes : « Comment expliquer que les Français préfèrent surtaxer l'épargne, l'investissement, le capital productif et préserver la rente et l'héritage ? »

La nécessité, défendue par la majorité, d'aligner la taxation des revenus du capital sur ceux du travail ? Elle n'est étayée par aucune théorie et aucune analyse empirique, font valoir Aghion, Cette et Cohen. Et elle conduit les individus concernés à moins investir et à moins entreprendre. Et ce ne sont pas les subventions à l'innovation qui suffiront à compenser les effets désincitatifs d'une surtaxation des revenus du capital.



Pour les besoins de la démonstration, les économistes Tony Atkinson et Joseph Stiglitz sont appelés à la rescousse, eux qui ont expliqué que taxer les revenus du capital, c'était taxer l'individu deux fois…

La réforme fiscale suédoise de 1991 est, là encore, éclairante. Le taux marginal de l'impôt sur le revenu a été abaissé de 88 % à 55 % et la fiscalité des revenus du capital, fortement progressive, est devenue forfaitaire. Résultats : le rendement des impôts a augmenté, la croissance a accéléré, l'épargne a été stimulée et l'innovation a progressé. Mieux encore : la Suède est restée, dans le même temps, l'un des pays les moins inégalitaires du monde.



C'est en matière de lutte contre les inégalités, un domaine où on ne les attend pas nécessairement, que nos trois économistes sont les plus affirmatifs. C'est plutôt en stimulant la mobilité sociale et professionnelle que par les seuls transferts monétaires qu'on y remédie, estiment-ils, exemple finlandais à l'appui.

Après d'autres chercheurs, ils soulignent la nécessité de réformer l'école, de créer des filières d'excellence à l'université, d'y faire jouer la concurrence et de refondre notre système de formation professionnelle, pour faire de la France un pays qui offre – enfin ! – une seconde chance. Quel beau chantier pour la gauche !



22 Avril 2014

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