Le pari russe d’Emmanuel Macron
Par LE MONDE | 25.05.2018 à 00h18 • Mis à jour le 25.05.2018 à 09h37 | Par Virginie Malingre (Saint-Pétersbourg, envoyée spéciale), Marc Semo (Saint-Pétersbourg, envoyé spécial) et Isabelle Mandraud (Saint-Pétersbourg, envoyée spéciale)

A Saint-Pétersbourg, le président français s’est félicité, jeudi, d’un rapprochement avec Vladimir Poutine sur deux dossiers majeurs, la Syrie et l’accord nucléaire iranien.

Pas un mot sur l’affaire Skripal, qui a entraîné le plus vaste mouvement d’expulsion de diplomates. Rien non plus sur les frappes aériennes contre la Syrie après l’utilisation par Damas d’armes chimiques. Les divergences, ou plutôt les « incompréhensions », comme les a brièvement évoquées Emmanuel Macron, ont été mises de côté.

En visite à Saint-Pétersbourg, jeudi 24 mai, le président français a eu à cœur de mettre en avant « les échanges plus longs que prévu mais fructueux » qu’il a eus avec Vladimir Poutine. « Nos pays ont vocation à définir, pour reprendre la phrase de Dostoïevski, “un vrai levier de conciliation pour toutes les contradictions européennes” », a résumé le chef de l’Etat.

Pour justifier ce pari russe, le président français ne pouvait rêver endroit plus adéquat que Saint-Pétersbourg, la ville russe la plus européenne, qui est aussi « la ville de Vladimir Poutine ». Sur le fond, M. Macron a invoqué le « multilatéralisme fort » et « l’indépendance » dans lesquels il entend inscrire sa politique étrangère. Et dont « le dialogue avec la Russie est un élément ». Trois heures durant, le chef du Kremlin et son invité, qui se sont entretenus au Palais Constantin, ont balayé tous les sujets qui fâchent sans jamais se fâcher.

« C’est sur la Syrie que le rapprochement de nos positions est le plus évident », se félicitait un diplomate français, à l’issue de la rencontre entre les deux dirigeants. M. Macron a proposé de « coordonner » deux initiatives de négociations parallèles, celle d’Astana qui associe la Russie, la Turquie et l’Iran, et celle du « small group », relancée par Paris en avril, avec les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Jordanie, l’Arabie saoudite. Objectif : donner aux Syriens une « nouvelle Constitution » et préparer des élections « auxquelles doivent participer tous les Syriens », y compris les millions de réfugiés, a précisé le président.

Préserver l’accord sur le nucléaire iranien

« C’est un conflit qui a des racines profondes et il ne peut être réglé que par des voies politiques. Et il ne peut y avoir des règlements à long terme si toutes les parties ne sont pas autour de la table », a abondé M. Poutine. « Une Syrie stable, politiquement inclusive, est un de nos principes communs », a renchéri son homologue français.

Moscou et Paris se sont également entendus pour coopérer dans le domaine de l’aide humanitaire. En revanche, Vladimir Poutine n’a pas repris l’idée d’Emmanuel Macron de remettre sur pied un mécanisme indépendant sous l’égide des Nations unies (ONU) de contrôle des armes chimiques en Syrie. La Russie s’était opposée au renouvellement du précédent système.

Sur l’Iran aussi, les deux dirigeants disent avoir trouvé matière à s’entendre. Ils veulent à tout prix préserver l’accord sur le nucléaire iranien, menacé par le retrait des Etats-Unis de Donald Trump, et surtout éviter que Téhéran ne s’exonère de ses engagements et relance son programme nucléaire.

M. Macron estime aussi qu’il est nécessaire de compléter cet accord en négociant avec l’Iran sur son programme nucléaire après 2025, son programme balistique et son rôle au Moyen-Orient. « Nous pouvons discuter de ces points », a affirmé le président russe, mais « cela ne doit pas conditionner l’accord sur le nucléaire iranien ». C’est un peu jouer sur les mots. « Je me retrouve parfaitement dans les propos de Vladimir Poutine. Je ne parlais pas d’élargissement de l’accord, mais de le compléter », a déclaré M. Macron, affirmant « ne pas vouloir mettre en risque l’accord de 2015, car on n’a rien proposé de mieux ».
Parfaire le tableau d’une relation apaisée

Les deux chefs d’Etat ont fait preuve de la même volonté de conciliation dans un domaine inattendu et hier encore objet de tensions, les cyberattaques, sur lesquelles ils ont promis de « s’échanger des informations ».

Ne restaient plus que quelques obstacles à franchir pour parfaire le tableau d’une relation apaisée. Le conflit en Ukraine a certes été évoqué, mais peu, chacun appelant de ses vœux au respect des accords de Minsk, censés apporter la paix dans le Donbass, dans l’est du pays, et aujourd’hui totalement encalminés.

« De quel avion parlez-vous ? Je ne connais pas les détails », a osé M. Poutine, interrogé lors de la conférence de presse sur les conclusions de l’équipe internationale d’enquête attribuant à une unité russe le tir de missile qui a abattu l’avion MH17 au-dessus du territoire ukrainien, en juillet 2014.

Et quand un journaliste a posé la question des droits de l’homme en Russie, en particulier sur le sort du cinéaste ukrainien Oleg Sentsov, condamné à vingt ans de colonie pénitentiaire, ou du metteur en scène Kirill Serebrennikov, en résidence surveillée, Emmanuel Macron s’est tourné vers son hôte en souriant : « Je ne vous avais pas menti, Monsieur le président, quand je vous ai dit que ces sujets étaient sensibles. »

Possible retour pour le Mondial de football

Le président français a toutefois maintenu ses rendez-vous, tard le soir, avec des personnalités de la société civile et de la culture. « L’écho d’une voix qui a marqué le XXe siècle et continue d’éclairer le nôtre, a-t-il tweeté. Avec Mme Soljenitsyne, treize minutes d’entretien. » Memorial, l’ONG russe des droits de l’homme, objet par de lourdes pressions et dont le représentant en Tchétchénie est emprisonné, a eu droit à cinq minutes.

Pour finir, le chef de l’Etat a comblé d’aise son auditoire russe en annonçant qu’il reviendrait lors de la Coupe du monde de football, dont le coup d’envoi sera donné à la mi-juin dans le pays, « si l’équipe de France passe les quarts de finale ». C’est une petite divergence avec le Royaume-Uni qui, après l’affaire Skripal, a décidé de ne pas envoyer de représentants officiels pour soutenir ses joueurs. La solidarité a ses limites.


25 Mai 2018

Abonnez-Vous au Monde

Retour à l'Europe

Retour au Sommaire
 INFORMATIQUE SANS FRONTIERES
Paris
France
Europe
UniversitÈs
Infos
Contact