Manuel Valls : «Je veux sortir la France de ses blocages»

Par PIERRE-ALAIN FURBURY / JOURNALISTE, NICOLAS BARRÉ / DIRECTEUR DE LA RÉDACTION, ETIENNE LEFEBVRE / RÉDACTEUR EN CHEF "INTERNATIONAL, POLITIQUE ET ECONOMIE GÉNÉRALE", ELSA CONESA / CHEF DE SERVICE ADJOINT ET FRÉDÉRIC SCHAEFFER / JOURNALISTE





A la veille de la conférence sociale et en plein débat budgétaire au Parlement, Manuel Valls donne aux « Echos » sa première grande interview économique. « Notre politique est bien calibrée, elle a été longuement mûrie », défend le Premier ministre, se posant comme « le Premier ministre qui redonne confiance ». Il répond aux critiques du patronat et des frondeurs du PS. Il annonce un report partiel du compte pénibilité et affiche sa volonté de réformer le code du Travail.

Le collectif budgétaire a été approuvé mais les frondeurs du PS ne baissent pas la garde pour le budget rectificatif pour la Sécurité sociale. N’êtes-vous pas lassé de cette guerre sans fin ?




Moi je veux rassembler. Le vote de ce soir est un vote massif de toute la majorité en faveur du collectif budgétaire. Un mouvement est enclenché. L’essentiel aujourd’hui, c’est de tenir le cap et d’agir. A ceux qui doutent, je dis : quel est notre bien le plus précieux ? Est-ce la singularité légitime ou la force du collectif ? Faut-il choisir une gauche pure, parfaite mais figée, qui parfois ignore la réalité du monde, ou une gauche qui, dans l’épreuve, réforme. Mon obsession, c’est le mouvement, la réforme. Face au risque d’enlisement, face à la crise de confiance, économique et d’identité que notre pays traverse, je n’ai qu’une seule attitude : dire la vérité et dépasser les intérêts particuliers. Je veux sortir la France de ses blocages.



L’enlisement ne vient-il pas plus de la classe politique que de la société française ?
Les blocages viennent de toute part, mais les Français attendent les réformes. Ils veulent trois choses : la clarté - c’est-à-dire la vérité -, l’exemplarité - si la majorité se divise, si les partenaires sociaux n’assurent pas leur rôle, comment demander des efforts aux Français ? - et le courage - la nécessité d’aller au bout des choix. C’est ce que je fais depuis trois mois. Je suis très inquiet de l’état des corps intermédiaires. Les formations politiques, les syndicats, les associations, la démocratie représentative doivent être valorisés. Le rendez-vous de la conférence sociale est à cet égard déterminant : le dialogue social est une des marques du quinquennat de François Hollande.



Le patronat menace de boycotter la conférence sociale…
Boycotter la conférence sociale serait un acte incompréhensible. Je comprends évidemment l’inquiétude, l’angoisse, l’exaspération parfois, de beaucoup d’entrepreneurs, qui créent la richesse et l’emploi et dont les carnets de commandes sont insuffisants et incertains. Mais on ne peut pas se plaindre du trop d’Etat et déserter le dialogue social. On ne peut pas vouloir être davantage respecté comme partenaires sociaux et ne pas respecter ses propres partenaires.

Le principal motif d’exaspération vient du compte pénibilité…




Il y a en effet une focalisation sur ce sujet et je ne veux pas qu’il cristallise les tensions. Je vais demander à François Rebsamen et à Marisol Touraine de reprendre les projets de décret pour aller plus loin dans la simplification et la sécurisation du dispositif. L’année 2015 sera une année de montée en charge progressive : les facteurs de pénibilité les plus simples à mesurer seront pris en compte, et moins d’un million de salariés seront concernés. Cela facilitera une mise en œuvre plus souple dans des secteurs tels que le bâtiment. L’objectif est d’aboutir à une généralisation en 2016, dans les meilleures conditions. De même, nous allons compléter la législation sur le temps partiel, afin d’écarter tout risque juridique quand des contrats de moins de 24 heures par semaine sont établis avec l’accord individuel du salarié.



Les baisses de charges de 2015 vont être votées mais quid de 2016 et 2017 ? Le patronat demande des garanties…
Je veux donner une visibilité complète sur ces engagements, en matière de baisse du coût du travail et en matière fiscale. Après avoir diminué de 6,5 milliards d’euros dès 2015, les prélèvements sur les entreprises seront réduits de 8 milliards en 2016 et d’environ 5,5 milliards en 2017. Sans oublier la montée en charge du crédit d’impôt compétitivité emploi à hauteur de 20 milliards d’euros. Jamais de tels engagements n’ont été pris à ce niveau ! Mais ils devront être réciproques. Le patronat ne peut pas être dans la surenchère permanente et dans l’attentisme. Le Medef ne doit pas être un simple lobby. J’ai parfois l’impression qu’il semble ignorer les efforts énormes que nous réalisons. Je préfère le Pierre Gattaz qui s’engage avec énergie dans la bataille économique, pas celui qui crie au loup.



Comment relancer l’apprentissage ? Faut-il diminuer les charges là aussi ?
Il y a un blocage à surmonter pour parvenir à l’objectif fixé par le président de la République des 500.000 jeunes. Toutes les contraintes qui nuisent au développement de l’apprentissage vont être étudiées lors de la conférence sociale. S’il faut réexaminer les dispositifs d’aide et lever des freins, nous le ferons. Mais, là encore, à condition que les entreprises s’engagent sur des objectifs chiffrés.

Faut-il relever les seuils sociaux dans les entreprises ?
Nous allons demander aux partenaires sociaux d’engager des discussions sur ce sujet. Le débat sur les seuils sociaux a été lancé, les syndicats et le patronat doivent s’en emparer. Je vais aussi leur demander d’engager des discussions sur les simplifications possibles du Code du travail, avec toujours la volonté de rendre le fonctionnement de l’économie plus souple, plus efficace.



Il est peu probable que les partenaires sociaux s’entendent sur de tels dossiers…
Je crois aux vertus du dialogue social. Je n’y renoncerai jamais. Le conflit fait partie du jeu social mais il faut ensuite trouver des compromis constructifs. Sans accord des partenaires sociaux, le pacte de responsabilité n’aurait pas pu voir le jour.

Légiférerez-vous sur les seuils faute d’accord ?
Je ne vais pas commencer une discussion en la fermant. Chacun doit prendre ses responsabilités, y compris le gouvernement si cela est nécessaire.

Ne faites-vous pas le choix très clair des entreprises au détriment des ménages ?




Mon seul choix, c’est le redressement de l’économie pour la croissance et l’emploi ! Notre politique est bien calibrée, elle a été longuement mûrie. Nous avons pris des mesures destinées aux ménages avec la baisse de l’impôt sur le revenu et des cotisations salariales, parallèlement au pacte de responsabilité et aux 50 milliards d’économies. Ces baisses restent ciblées car diminuer massivement l’impôt des ménages n’est pas l’outil le plus efficace. Nous sommes dans une économie ouverte. Nos difficultés viennent avant tout d’un manque de compétitivité de nos entreprises. S’il faut appeler cela une politique de l’offre, et bien appelons-la ainsi. C’est ce choix-là qui est affirmé, assumé, et que nous devons rappeler en permanence. Cela suppose aussi de veiller à créer un cadre qui favorise l’investissement et l’innovation, par la stabilité, la lisibilité et le rythme de nos réformes.

Mais vous peinez à contenir la créativité fiscale de votre majorité, qui vient de voter deux hausses de la taxe de séjour…
Le Parlement est souverain et une très large majorité des députés a voté ces deux amendements. Mais Laurent Fabius et Arnaud Montebourg ont eu raison d’exprimer leur réticence. Ces taxes supplémentaires sont en contradiction avec les conclusions des Assises du tourisme qui visent à renforcer l’attractivité de notre pays. Il y a parallèlement des travaux parlementaires en cours, la sagesse voudrait que l’on attende leurs conclusions. A défaut, le dispositif devra être amélioré pour être plus équilibré et ne pas pénaliser l’industrie du tourisme. Je suis très attentif à la lisibilité de notre politique. Je veux offrir un cadre stable pour tous les acteurs économiques.



En quoi consistera la nouvelle baisse d’impôt sur le revenu prévue pour les ménages dans le budget 2015 ?
Nous avons mis en place une mesure qui bénéficiera à 3,7 millions de ménages cette année, mais il faut aller plus loin d’ici 2017. Le cumul des prestations sociales et des exonérations d’impôt pour les ménages modestes est devenu illisible. Une réforme est nécessaire. Je pense en particulier au rapprochement des minima sociaux que sont le RSA et la prime pour l’emploi. Mais globalement, les impôts devront encore baisser pour les ménages aux revenus modestes et les classes moyennes. Depuis 2010, ils n’ont cessé d’augmenter et l’effet a été dévastateur pour la confiance. Je veux être le Premier ministre qui redonne confiance aux acteurs économiques et sociaux. Je veux incarner le retour de la confiance pour tout le tissu économique français, les grandes entreprises, les PME, les ETI, les artisans, les commerçants, … En France, on critique beaucoup trop l’entreprise, mais sans entreprise, pas de création de richesse, pas d’emplois.



Les baisses d’impôt sont-elles plus importantes que l’objectif des 3% de déficit ?
On ne peut pas opposer les deux sujets. Tenir les déficits est avant tout un enjeu de souveraineté nationale et d’équité à l’égard des générations futures. Je me félicite de constater que cette préoccupation est très largement partagée par nos compatriotes ; et bien sûr au sein de la majorité, même si certains posent la question du rythme. Nous tiendrons bon sur le plan d’économies de 50 milliards. C’est difficile à faire mais c’est un signal fort qui contribue au retour de la confiance, car ces économies crédibilisent nos baisses d’impôts et de charges. Je ne lâcherai pas. Je me félicite du débat qui, grâce au président de la République et aux sociaux-démocrates européens, s’est ouvert sur le Pacte de stabilité pour qu’il soit appliqué avec plus de flexibilité et d’intelligence. La croissance, l’emploi, les investissements d’avenir doivent être privilégiés.

Etes-vous satisfait de l’action de la BCE ?
L’euro est surévalué, ce qui est mauvais pour notre industrie et la croissance. La banque centrale a fait un mouvement remarqué début juin permettant d’amorcer une décrue de l’euro et d’assurer des conditions de crédits satisfaisantes pour les entreprises et les ménages. C’est un signal fort mais je souhaite une banque centrale qui puisse aller plus loin notamment en achetant des titres sur les marchés. La politique monétaire ne peut pas passer exclusivement par des mouvements sur les taux d’intérêts.



Au-delà des baisses de charges, quelles sont les autres réformes à venir pour débloquer l’économie ?
Je comprends l’impatience des Français. Le moment est historique. Deux options s’offrent à nous : les blocages, l’enlisement ou le mouvement par les réformes. Le vote du pacte de responsabilité et celui, j’en suis convaincu, de la nouvelle carte des régions seront des actes fondateurs. Les Français disent : « Ils n’y arriveront pas ». Nous allons prouver le contraire ! Et engager de nouveaux chantiers. Sur le logement, nous irons encore plus loin que ce qui vient d’être annoncé. C’est un élément essentiel pour la croissance. Le nouveau projet de loi de simplification pour les entreprises sera débattu dans quelques jours, puis, à l’automne, la loi sur la croissance et le pouvoir d’achat.

Le blocage au Sénat de la réforme territoriale n’illustre-t-elle pas l’ampleur des freins à la réforme en France ?
La réforme territoriale, c’est la mère des batailles. Le Sénat ne peut pas s’opposer à une réforme aussi importante qui va renforcer notre pays avec des régions plus grandes, plus puissantes, dotées de davantage de compétences pour le développement économique et l’emploi. Notre détermination est intacte et nous irons jusqu’au bout. La nouvelle carte des régions sera votée avant la fin de l’année.



Matteo Renzi est-il un modèle ? Il semble mener les réformes plus rapidement qu’en France…
Ce que nous faisons aujourd’hui pour les entreprises dépasse largement ce qui est engagé en Italie. Nos deux pays sont confrontés aux mêmes défis : la croissance et la compétitivité. Nous avons un même impératif : mener à terme les réformes que nous avons engagées.

1er Juillet 2014

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