Comment Dassault affame ses journaux du Nord
Par Haydée Saberan


Le propriétaire veut rentabiliser à tout prix «la Voix du Nord» et «Nord Eclair»


La dernière fois qu'on a senti ce sale goût, un journal est mort. Nord Matin a rendu l'âme au milieu des années 90, mangé par Nord Eclair, son grand frère. Aujourd'hui, c'est pour Nord Eclair qu'on craint le pire.
Avec la prise de contrôle de la Socpresse, propriétaire de la Voix du Nord et de Nord Eclair, par Dassault, en 2004, une clause de cession s'est ouverte. La possibilité pour les journalistes de démissionner en touchant des indemnités de licenciement. Un bon calcul pour les proches de la retraite. Et, pour les jeunes courageux déçus par leur canard, la tentation de la pige ou d'un autre métier. Ils sont 20 sur 272 à la Voix du Nord à avoir fait jouer la clause, et 11 sur 58 à Nord Eclair .

Saignée


Pour le groupe Dassault, c'est l'occasion de rentabiliser l'ensemble. La cohérence est en route. Jacques Hardoin, directeur général de la Voix du Nord, aurait d'ailleurs pris, depuis jeudi, les commandes de Nord Eclair, selon les syndicats. Pour lui, la clause de départ est une aubaine : une restructuration qui ne dit pas son nom. Mais, pour Nord Eclair, c'est une possible catastrophe. Avec cette ultime saignée, le quotidien roubaisien pourrait descendre sous sa masse critique, et mourir à petit feu.

Car, cette fois, le grand frère qui serre trop fort s'appelle la Voix du Nord . En 2002, la Socpresse, qui possède déjà Nord Eclair , se retrouve propriétaire de la Voix du Nord . Le mastodonte lillois, qui s'étend sur tout le Nord-Pas-de-Calais avec 25 éditions et 300.000 exemplaires, unit son destin à Nord Eclair, petit Poucet roubaisien, 50.000 exemplaires et neuf éditions, qui vivote encore dans le bassin minier, autour de Lens, et survit à Lille.

Depuis, le journal roubaisien, qui n'a cessé de fermer des bureaux (à Valenciennes, à, Saint-André, etc.) continue de se ratatiner à la faveur de «synergies» avec la Voix . Fermeture de Béthune, de Villeneuve-d'Ascq. Une banque de données permet à Nord Eclair de reprendre des articles de son concurrent pour alimenter ses propres pages (Béthune, Bruay-Labuissière, Hénin-Beaumont, Carvin). Résultat, à Nord Eclair, des pages de bric et de broc, et un journaliste mobilisé uniquement pour faire du «copié-collé» de la Voix .

Déprime


Pour autant, le grand frère ne se porte guère mieux. Ses ventes s'érodent. Les journalistes de la Voix du Nord étouffent depuis plus de dix ans, coincés par les objectifs de rentabilité et le langage marketing d'une direction qui veut faire du journal un produit comme les autres. Résultat, à la faveur des changements d'actionnariat, une saignée dans les effectifs en moins de cinq ans, après trois clauses de cessions successives Ñ cas unique dans la presse française. En tout, 140 départs sur 330 journalistes, la mémoire du journal qui part avec leur expérience et leurs carnets d'adresses, et 30 postes non remplacés. Une vraie déprime.

Et demain ? Selon l'intersyndicale, la direction de la Voix du Nord n'accepte de remplacer que cinq départs alors qu'il en faudrait 20. Et exige que ses journalistes planchent sur une formule tabloïd. «On t'annonce des suppressions de postes, on te dit qu'avec moins tu vas faire mieux, on te demande de te lancer dans un nouveau projet éditorial - au bas mot un an de boulot -, ça paraît surréaliste», ironise un ancien.
Pour sa part, l'Association des journalistes de Nord Eclair , qui a son mot à dire dans la direction du journal, menace d'aller au tribunal si on ne lui accorde pas quelques postes, «question de survie» .
Les salariés des deux journaux vont tenter de s'unir, vendredi, face à Dassault, dans une assemblée générale commune. Ça urge. Pour le Petit Poucet, c'est une question de vie ou de mort
.

H.S.

Janvier 2005
Article publié avec l'aimable autorisation de Libération

Lille de notre correspondante
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