Nov.
2014

L'actualité du Mois



Et si l’Allemagne avait tout faux ?
Par
Gilles Marchand


Directement à l’origine d’une politique européenne qui s’est révélée désastreuse au fil des années, l’Allemagne bénéficie — paradoxalement — d’un positionnement qui fait souffrir les autres pays et menace le projet de l’union lui même.

Nous avons des griefs. Pas une semaine qui n’apporte en Europe son cortège de mauvaises nouvelles. Nous avons eu le redoutable privilège de vivre des événements dramatiques sans toujours tirer les conséquences logiques d’une telle situation. Il s’agit que les choses soient remises en perpective et comprises. Que les équilibres se reconstituent et qu’une forme de justice ontologique émerge.

Or, il nous faut aujourd’hui, faire un constat amer : l’Allemagne a sciemment pratiqué des politiques qui ont détruit les bases qui font la cohésion de l’Europe. Elle imagine être sur le toit du monde après la coupe du monde 2014, mais en réalité, elle a involontairement saboté les assises qui soutiennent son ancrage européen. Elle a fait souffrir autour d'elle des économies, et à fortiori des individus, on pense à la Grèce mais pas seulement, par la nature de ses positionnements.

Mais de ce devoir de vérité peut naître la solution.

Que s’est il passé ? Les politiques européennes qu’elle a pu conduire ont principalement concouru à l’affaiblissement de l’économie des pays limitrophes et au delà. Elles ont hésité à défendre les solidarités intracommunautaires, elles ont fait souffrir leurs systèmes sociaux, elles ont directement alimenté les populismes. Un aveuglement et une arrogance qui confinent à la rigidité, voire à la dureté de choix à priori inaliénables qui entrainent le continent dans une spirale de problématiques négatives. Des décisions qui ont directement affecté le cours de la construction européenne, et accru les difficultés au risque de créer les tiraillements contre-productifs que nous avons connus, comme lors de la rencontre de Deauville entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy en 2010, moment pivot pour l’euro, qui a fait basculer l’Europe dans l’inconnu pour plusieurs mois. Il a fallu toute la présence d’esprit de Mario Draghi à la tête de la BCE, pour éteindre l’incendie. Aujourd’hui, les décisions qu’il souhaite prendre sont vertement critiquées par des allemands qui souhaitent limiter son action, alors même que celles-ci se sont toutes avérées salvatrices aux différents stades où elles ont été conduites.



Oui, les investissements publics sont insuffisants. Oui, la solidarité budgétaire est indispensable. Oui, l’Europe a une inflation quasiment nulle conjuguée à un risque déflationniste, situation ubuesque qui créera immanquablement des épisodes politiques dramatiques et qui devrait être traitée par une véritable relance de la croissance, une relance des investissements via au besoin de la création monétaire mais là aussi, les allemands — traumatisés par l’inflation galopante des années vingt et trente de la république de Weimar — refusent de faire évoluer ce dogme sacro-saint et craignent ce recours de manière exagérée.

La méthode allemande est désarmante : on constate un problème et on reçoit de ses alliés tout l’éventail des solutions efficaces qui permettraient de régler le problème à la racine. Mais les membres du gouvernement allemand alors tergiversent, tiennent à défendre leurs dogmes, perdent du temps, puis se ravisent constatant que la situation s’est dégradée, ils se retrouvent au pied du mur et prennent la décision qui était attendue au début, sauf qu’entre temps, les choses se sont clairement envenimées et ce qui aurait été une bonne politique à l’origine, s’avère désastreux à l’arrivée, même si le problème est réglé. On se retrouve à perdre du temps dans des domaines qui commandent des décisions rapides. Il est à ce titre scandaleux qu’il ait fallu quatre ans pour ne régler pas la crise de l’euro, qui n’a vu une solution qu’après l’arrivée des socialistes en France… La réalité est que les crédos ultralibéraux qui ont trop longtemps prévalu en Europe ont vidé de leur sens le combat pour une Europe sociale et menacé de détruire les valeurs initiales que les fondateurs avaient promues à travers la constitution d’une Europe renaissant de ses cendres au lendemain de la guerre.
 
Le péché originel de la construction de l’euro est en réalité sa parité d’un état à l’autre, défavorable en ce qui concerne notamment la France, ultra favorable, en revanche comme facteur multipliant, pour une Allemagne qui n’en a pas tiré toutes les conséquences politiques. Au lieu de pratiquer une politique équilibrée de coopération véritable, l’Allemagne pratique une concurrence de tous contre tous à l’intérieur de l’Europe, dont elle tire une part prépondérante de ses revenus, au risque de s’aliéner la confiance des autres pays. Elle s’obstine à restreindre les cordons de la bourse pour les autres et s’accorde parallèlement des largesses pour elle même. En réalité, l’Allemagne a détourné à son profit la construction européenne, dont elle parasite les éléments structurants et remet en cause les fondamentaux. L’Europe souffre de cet égoïsme alors même que le principe fondamental de la construction européenne repose normalement sur une solidité implicite des états entre eux. Un aveuglement, auquel il faut bien qu’à un certain stade des choses, une voix amicale vienne lui répondre sans qu’on l’accuse d’être une tentative de mystification. Il est temps que cette parole résonne aux oreilles d’une nation qui se fourvoie, pour lui indiquer les solutions susceptibles de la sortir de l’ornière. Une ornière redoutable parce que cette situation paradoxalement offre en apparence des avantages sur le plan économique, mais qu’elle est désastreuse depuis des années, maintenant, et à terme sur le plan politique. Le problème s’il n’est pas correctement adressé menace  directement l’Europe. Dans ce contexte, les leçons budgétaires de l’Allemagne à la France sont particulièrement malvenus, la situation économique notre pays étant directement impactée par le contexte européen dans lequel elle se construit. Dans ce cadre, il serait juste d’exclure du calcul de ses dépenses ses éléments de programmation militaire, la France assumant actuellement une sorte de défense européenne par défaut. Un rôle ultra nécessaire pour l’Europe dans le contexte géostratégique actuel. Il serait juste en effet qu’elle soit entérinée. L’absence de prise en compte de ce rôle budgétaire serait un camouflet particulièrement malvenu dans la situation présente. Aujourd'hui, l'allemagne impose son casting à la tête de la commision européenne, mais il faut espérer que l'expérience et le caractère de Jean Claude Juncker dont l'élection démocratique est la bonne surprise du 25 mai, concoureront à solutionner les problèmes.



Il est grand temps que des décisions salvatrices soient prises et surtout que les dirigeants européens aient cette réalité à l’esprit. Des facteurs rééquilibrant doivent être imaginés et la relance enfin autorisée. L’Europe est en danger. Sa popularité n’a jamais été aussi basse. Elle est critiquée de toutes parts, et même — c’est un phénomène nouveau — par ses propres partisans déçus de la voir s’engager sur des voies aussi dangereuses. Il faut faire les gestes indispensables pour réanimer un projet qui a besoin de renaitre. C’est une nécessité stricte en même temps qu’une forme de retour à la sagesse dont elle a besoin de façon urgente. Dire de l’Allemagne qu’elle est le problème de l’Europe ne doit pas la décourager ou provoquer sa colère. Elle doit l’amener à résoudre les problèmes qu’elle a créés et à changer des politiques conservatrices qui se sont paradoxalement révélées hasardeuses. Nous vous devions la vérité. Elle n’est pas bonne à dire, mais celle-ci doit au contraire redevenir un facteur de réconciliation.

3 Octobre 2014

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