Sept.
2015

L'actualité du Mois



Malaise dans la civilisation européenne
Par
Gilles Marchand


Alors que déferlent des hordes de réfugiés sur les côtes et aux frontières du continent, un malaise grandissant s’installe. Que doit faire l’Europe face à ce phénomène ? Comment relancer une dynamique positive ? Qu’est devenu le rêve européen ?

Le verdict est cinglant. Il émane de quelqu’un qui a eu à beaucoup souffrir de l’acharnement médiatique. Quelqu’un qui aurait très bien pu se retrouver aux manettes du pays. Et pourtant le jugement est net et il est dressé au scalpel.  « Le gouvernement navigue à vue. Il y a une absence de vision. » On pense ce que l’on veut de DSK, mais on ne peut lui enlever une compétence économique qui a souvent été décisive et une bonne connaissance des nécessités politiques. Qu’avons-nous donc manqué collectivement pour nous retrouver face à cette situation ?

La France et l’Europe ne se sortiront de la passe dans laquelle elles se trouvent qu’en questionnant profondément certains de leurs fondamentaux. L’une et l’autre connaissent des succès éclatants qui masquent difficilement un recul qu’il faut absolument juguler. Premier constat : une absence de véritable leadership européen. Angela Merkel tente de faire adhérer à ses conceptions des partenaires qui ne manquent pas de bonne volonté, mais force est de constater que l’on se retrouve face à l’expression majoritaire des égoïsmes nationaux.

La crise des migrants est le résultat direct d’une gestion à vue de son rapport au monde. La diplomatie européenne, insuffisamment dotée et pas suffisamment active en Afrique, l’intervention en Libye, court-termiste et inconséquente, l’absence de gestion intelligente d’un problème syrien qui s’ankyste, les conséquences ultimes de la guerre du golfe et de l’Afghanisthan, ont provoqué des retours de manivelle majeurs. Nous sommes aujourd’hui aux premières loges des conséquences induites des nombreuses erreurs faites par l’occident en matière de politique étrangère.



Il est grand temps que l’Europe réalise qu’elle a la possibilité de transformer un danger en opportunité économique et qu’elle dispose de la possibilité de résoudre cette crise. Mais pour cela il lui faut adopter une attitude ouverte en matière de flux humains, une gestion humaine des migrations et une fermeté sur ses valeurs. Elle ne doit à aucun prix y perdre son âme. L’aspect médiatique a une importance déterminante. Il déclenche des réactions, des mouvements de population ou, au contraire, un apaisement de la situation. Jean Tirole, prix Nobel d’économie, vient de déclarer au micro de France Inter, que l’immigration était une chance pour les pays qui la pratiqueraient intelligemment dans la mesure où elle est bonne pour la croissance et créerait de la richesse sur une base large. Des cerveaux et des bras jeunes, généralement bien formés, et imaginatifs. Et de parer la vague actuelle qui ne se tarira pas en l’absence de véritable politique dédiée. Mais nous sommes tributaires d’une classe politique particulièrement étroite d’esprit et dont l’envergure laisse profondément à désirer. Sans vision d’avenir, ni véritable dessein à l’échelle du continent. Une solution politique en Syrie demandera des années pour produire des effets bénéfiques pour ses populations, mais il faut trancher le nœud gordien. Nous sommes arrivés à un tel niveau de malignité de la crise que tous ses protagonistes doivent faire l’effort suprême de trouver un accord collectif. Tous ceux qui seront en volonté de négocier pourraient avoir partie à la table des négociations.  Il faut juguler le nihilisme des uns et l’inquiétude des autres. L’Europe doit pleinement jouer son rôle diplomatique et elle doit l’appuyer par des moyens de pression ou de développement économiques. Là où l’avenir semble grevé, il faut réinventer les perspectives qui manquent. Nous sommes en capacité de le faire. Il faut que nous le fassions.

Le rapport Europe-Afrique oblitère la part des transferts de fonds énormes que subit l’Afrique et qui plombent ses comptabilités nationales. Il y a là un moyen d’action et une capacité d’intervention pour l’Europe insoupçonnée. Un effort de générosité minimal est requis tant la menace pourrait s’accentuer et représenter des déprédations supplémentaires. Il y a absence d’une réelle politique de développement en direction de l’Afrique et d’une part du Moyen Orient. Absence de connaissance. Absence de volonté, là aussi. L’échec du partenariat euro-méditérranée traduit là aussi une insuffisance criante des efforts de coopération et de diplomatie à destination de ces pays. Là encore la puissance européenne ne doit pas hésiter à jouer pleinement son rôle.

Pourquoi, alors, ce malaise européen ? Pourquoi ce défaitisme exagéré ? Nous sommes une société excessivement orientée vers la vieillesse. Toutes les mesures de politique sociales, ou presque, sont orientées en ce sens. Le capital y est beaucoup moins taxé que le travail ce qui est un choix qui grève les efforts de la jeunesse. Partout une génération en empêche une autre de se réaliser et de renouveler la société. Les centre-villes se vident de cette énergie, les tarifs de l’immobilier sont prohibitifs, les jeunes le plus dynamiques qui créent des start-ups sont obligés de retourner chaque soir jusque loin dans leurs banlieues, alors qu’ils mériteraient amplement d’occuper les zones le plus actives des villes. Nous avons perdu notre attrait pour le risque, une inclinaison qui a fait de l’Europe le continent développé qu’elle était devenue.



Cette propension à partir conquérir le monde s’est-elle tarie ? Je ne crois pas. La diaspora française et européenne est une réalité qui n’a pas encore porté tous ses fruits. Mais sans mesures claires pour contrer le déclin, nous serions en train de perdre notre industrie et une véritable politique industrielle s’avère indispensable. Elle doit s’appuyer sur une innovation facilitée. C’est de notre rapport à la passion dont il est question. C’est cet enthousiasme qui devrait nous habiter et nous permettre de vaincre la barrière mentale qui nous empêche de franchir les limitations actuelles. L’Europe a besoin d’un leadership plus direct et plus clairement identifié. Ce n’est pas le moins d’Europe qu’il faut viser — car il nous fragilise et nous expose aux crises qui se sont déclenchées depuis 2008, notamment. Si nous avions éteint les feux de paille qui nous menaçaient au long de ces sept années de malheur dès le départ, nous aurions pu facilement juguler ces crises. Tout cela plaide en faveur d’une mutualisation intelligente des dettes. D’un renforcement des défenses face à l’adversité par la création d’un gouvernement de l’euro, de vraies politiques monétaires, ne pas s’interdire une certaine inflation, un réel soutien de la BCE à l’économie et à l’innovation, un budget bien plus conséquent, un trésor européen, de vrais eurobonds, même si nous en avons créé de facto avec les fonds de secours européens. Bref, une avancée concrète vers un fédéralisme bien plus poussé et une véritable intégration est la clef.

L’Europe est la solution, pas le problème. Elle est — actuellement et trop souvent exagérément — absente de décisions mondiales dont elle pourrait influencer positivement les attendus. Sa relative atonie entâche une gouvernance mondiale qui a besoin de sa voix pour faire progresser les standards humains. Sa bonne santé et le fait qu’elle redevienne florissante est indispensable au reste de la planète. Il ne faut pas avoir peur du changement. C’est notre chance. Notre voie d’accès vers l’avenir. Un vrai budget pour une Europe plus fédérale, une mutualisation des dettes et compléter les critères de Maastricht de normes sociales, fiscales, environnementales qui soient applicables dans tous les pays européens. Tout est à rebâtir. Mais avec la force et la conviction d’hommes et de femmes déterminées, nous pourrons reprendre le cours interrompu de la construction européenne et guérir ce continent de maux qui le font souffrir.


17 Septembre 2015

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