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 Agir 
                    est Possible
 ParÝPascal 
                    LAMY
 
 
   
 Il nous faut construire une stratÈgie industrielle 
                    orientÈe vers les produits ´haut de gammeª. Pour les Èconomistes, 
                    les dÈlocalisations ne sont qu'un phÈnomËne marginal dans 
                    la recomposition permanente du tissu productif et des emplois 
                    au rythme de la croissance. Pour les polÈmistes, elles sont 
                    les signes d'une inversion tellurique du capitalisme de marchÈ 
                    dÈsormais lancÈ dans une course ý l'abÓme o˜ il n'y aurait 
                    plus d'autre avenir que de travailler plus pour gagner moins. 
                    Que cache cette contradiction ? D'abord, une opposition mÈtÈorologique 
                    classique entre le front froid des chiffres et de la rationalitÈ 
                    Èconomique et le front chaud des douleurs individuelles rÈpercutÈes 
                    dans le champ politique, activÈes par tel ou tel chantage 
                    ý l'emploi ou aux salaires et amplifiÈes par la diabolisation 
                    de la mondialisation.
 Ensuite, 
                    une planétarisation des angoisses. L'angoisse face 
                    à la concurrence du voisin, proche ou éloigné, 
                    devient la chose la mieux partagée au monde. Les Français 
                    craignent la concurrence de la Pologne. La Pologne craint 
                    la concurrence des pays de la Méditerranée ou 
                    de l'Asie centrale. Le Bangladesh et le Mexique craignent 
                    plus encore que l'Europe la concurrence chinoise. La Chine 
                    du Sud craint la concurrence de la Chine du Nord. Le «délocalisant» 
                    d'aujourd'hui devient ainsi le délocalisé de 
                    demain. 
 Enfin, dans le cas de la France, un syndrome d'impuissance 
                    politique face au chômage de masse, comme si «agir» 
                    contre les délocalisations pouvait servir de substitut 
                    à une politique déterminée en faveur 
                    du plein emploi.
 
 En Europe ou ailleurs, le point commun est finalement identique 
                    : le sentiment de fatalité, de dépossession. 
                    Est-il inévitable ?
 
 Eh bien non ! Je reste convaincu qu'il n'y a pas de fatalité 
                    et qu'un projet de développement durable peut associer 
                    l'économique, le social et l'environnement. Ce projet 
                    passe par une stratégie déterminée à 
                    tous les niveaux : le mondial, l'européen, le national, 
                    le local. Face à un problème mondial mais dont 
                    les ramifications s'étendent à tous les territoires, 
                    c'est la cohérence de tous les acteurs, leur volonté 
                    d'agir ensemble qui sont déterminantes.
 
 Condition sine qua non de cette relance : il faut plus d'Europe. 
                    Car, réunis, nous sommes en mesure de promouvoir notre 
                    modèle de société fondé sur l'économie 
                    sociale de marché et nous pouvons nous donner les moyens 
                    de nos ambitions.
 
 Au plan mondial, il faut faire en sorte que les droits de 
                    l'homme au travail et la protection de l'environnement échappent 
                    au jeu de la concurrence et des avantages comparatifs. Soient 
                    en quelque sorte «neutralisés». C'est ce 
                    que l'Union européenne préconise même 
                    si cette demande s'est, jusqu'à présent, heurtée 
                    à l'opposition d'une majorité de pays en voie 
                    de développement et des Etats-Unis. Mais nous progressons. 
                    Ces protections sont désormais intégrées 
                    dans les dispositifs européens de préférence 
                    commerciaux et de plus en plus dans nos accords bilatéraux.
 
 Parallèlement, il faut renforcer les organisations 
                    internationales compétentes, en créant une organisation 
                    mondiale de l'environnement et en donnant des pouvoirs accrus 
                    à l'organisation internationale du travail et à 
                    celle de la santé. Comme le demandent les syndicats, 
                    il faut donc chercher à mondialiser le progrès 
                    social.
 Au sein de l'Union, la priorité, c'est la croissance. 
                    Contrairement à ce qu'on essaie de faire croire, le 
                    premier déterminant de l'implantation des entreprises 
                    n'est pas le coût du travail mais l'importance du marché 
                    et ses perspectives de croissance. D'où l'urgence d'accroître 
                    les moyens de l'Union consacrés à la recherche, 
                    à l'innovation et aux infrastructures : dans ces domaines, 
                    un euro investi dans le budget européen est plus efficace 
                    que dispersé dans 25 budgets nationaux. D'où 
                    l'urgence, aussi, d'une gestion macroéconomique en 
                    faveur de la croissance à long terme : c'est le sens 
                    de la réforme du Pacte de stabilité que la Commission 
                    européenne vient de proposer.
 
 Sur ce socle de croissance, il nous faut construire une véritable 
                    stratégie industrielle. Depuis vingt ans, l'industrie 
                    européenne a perdu 7 millions d'emplois tandis que 
                    les services en créaient 36 millions. J'ai demandé 
                    au CEPII (1) d'étudier précisément les 
                    dynamiques à l'oeuvre car l'industrie reste un pivot 
                    essentiel de diffusion du progrès technique dans l'économie. 
                    Cette étude montre que la production industrielle augmente 
                    et que notre excédent industriel s'accroît, notamment 
                    dans la chimie, l'automobile, la pharmacie, les machines, 
                    et ceci même avec les pays émergents. Elle souligne 
                    que ce sont les exportations de produits «haut de gamme» 
                    qui nous tirent vers le haut : l'industrie européenne 
                    réussit quand elle réussit à vendre du 
                    travail cher, quand elle s'appuie sur la qualité de 
                    notre modèle social pour construire sa compétitivité. 
                    D'ores et déjà, le haut de gamme représente 
                    50 % des exportations européennes et 33 % de la demande 
                    mondiale. Elle trace enfin les contours d'une stratégie 
                    commerciale et technologique en insistant sur la nécessité 
                    d'accroître notre présence sur les marchés 
                    émergents, où la demande est en croissance rapide, 
                    et de développer notre effort en faveur de l'innovation.
 
 A cette stratégie, il faut enfin associer une politique 
                    de solidarité. Depuis quelques mois, la concurrence 
                    fiscale et sociale des nouveaux Etats membres est régulièrement 
                    dénoncée, à gauche comme à droite. 
                    Histoire sans doute de transformer le travailleur polonais 
                    ou slovaque en bouc émissaire, de faire porter à 
                    ces pays le poids de nos propres incapacités et d'oublier 
                    ainsi une évidence : ces pays sont pauvres, beaucoup 
                    plus pauvres que nous ne le sommes. L'enjeu pour eux est d'amplifier 
                    leur décollage économique. L'enjeu pour nous 
                    est de favoriser la convergence de leur situation avec la 
                    nôtre. L'enjeu pour tous est de réussir une harmonisation 
                    progressive par le haut. J'insiste sur le mot «progressive».
 Demander une harmonisation immédiate des conditions 
                    fiscales et sociales est incompatible avec la situation financière 
                    de ces pays : ils n'ont pas encore les moyens de telles ambitions, 
                    que nous avons d'ailleurs mis du temps à mettre en 
                    place pour ce qui nous concerne. De même, conditionner 
                    le versement des aides européennes à une telle 
                    exigence nous fait renouer avec le paternalisme de grand-papa 
                    : les pauvres mériteraient notre solidarité 
                    que s'ils font un effort d'épargne identique à 
                    celui des riches... Ceci revient à nier le principe 
                    même de l'aide au développement.
 
 
  
 Plutôt que de claironner des positions de principe, 
                    nous pourrions donc promouvoir trois initiatives : obtenir 
                    rapidement un accord des chefs d'Etat et de gouvernement sur 
                    une enveloppe plus importante d'aides budgétaires en 
                    faveur de ces nouveaux Etats, afin de stimuler leur croissance 
                    ; proposer un statut européen du service public, applicable 
                    dans toute l'Union, conformément aux propositions faites 
                    par le livre blanc adopté par la Commission en mai 
                    dernier ; engager l'harmonisation de l'impôt sur les 
                    sociétés, en associant une harmonisation de 
                    l'assiette de l'impôt, un taux minimal fixé à 
                    niveau compatible avec la situation des nouveaux Etats membres 
                    et l'exigence pour les pays bénéficiant des 
                    fonds européens de ne pas baisser leur taux d'impôt 
                    sur les sociétés si celui-ci est inférieur 
                    à la moyenne communautaire.
 
 De mon point de vue, l'Europe doit aussi donner aux Etats 
                    les moyens de leur autonomie.
 
 Au niveau national, ils pourront ainsi développer une 
                    stratégie sociale qui ne se réduise pas à 
                    l'invocation périodique de la flexibilité ou 
                    des réformes structurelles. Les mutations industrielles 
                    affectent surtout les travailleurs les plus vulnérables, 
                    les moins qualifiés et les moins adaptables et produisent 
                    des inégalités et de l'exclusion en l'absence 
                    de politique publique. D'où l'accent sur l'éducation 
                    et le logement, la formation tout au long de la vie et la 
                    sécurisation des parcours professionnels : nous sommes 
                    encore loin du compte : 18 % des jeunes Européens sortent 
                    du système éducatif sans qualification et un 
                    salarié sur deux n'a pas accès à la formation 
                    professionnelle qui bénéficie surtout aux hommes, 
                    aux cadres et aux moins de 40 ans.
 Au niveau local, ce sont tous les acteurs - entreprises, syndicats, 
                    associations, écoles, universités, services 
                    de l'emploi... - qui peuvent se mobiliser. Chaque territoire 
                    est potentiellement un pôle de compétitivité 
                    dont les acteurs peuvent définir les contours, bassin 
                    d'emplois par bassin d'emplois, par une confrontation et une 
                    action collectives et non par une quelconque concurrence fiscale 
                    accrue où les faveurs obtenues par les uns seraient 
                    payées par les autres. Exemple : le travail mené 
                    récemment par le comité économique et 
                    social des Pays de la Loire. Jolie démonstration du 
                    dynamisme des acteurs locaux et de leur capacité à 
                    dépasser la tentation d'un «y a qu'à, 
                    faut qu'on» d'un Etat empêtré dans ses 
                    contradictions faute de vision globale.
 
 (1) Centre d'études prospectives et d'informations 
                    internationales, dirigé par Lionel Fontagné, 
                    qui doit prochainement remettre au Premier ministre un rapport 
                    sur les délocalisations.
 
 Pascal Lamy commissaire européen 
                    au Commerce international.
 Septembre 
                    2004
 
 Dernière 
                    : Pascal Lamy dans la course au poste de directeur général 
                    de l'OMC
 
 Europe 
                    et Délocalisations
 
 Les 
                    socialistes du PSE fixent le programme d'une Europe sociale
 
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