Internet dans le monde arabe



Le colloque est dirigé par deux intervenants spécialistes des questions relatives aux technologies de la communication et de l'information, Mr Gonzalez-Quijano et Samir Aita. On note d'entrée que la revue Hermès est en train de produire un numéro sur le Maghreb où on trouve une Lettre d'information sur les responsables du monde arabe.

Y a t-il un internet arabe ?
Y. Gonzalez-Quijano


L'internet dans le Monde Arabe est un phénomène récent "immatériel" et transnational, qui date des années 1995-2000. Nous sommes face à une situation de décalage plutôt que retard. Ces technologies présentent un faible coût d'entrée, mais l'infrastructure est lourde à mettre en place et nécessite une régulation importante pour la région. L'aspect transnational de celle-ci, avec une langue ou des paramètres communs, est indiscutable, mais il produit des colorations particulières. Cela nous pose plusieurs questions.

Où ? Comment ? Pourquoi ?

La définition par les acteurs, est-elle le bon critère ? Les consommateurs offrent vis-à-vis de leurs pratiques une meilleure définition. Mais une bonne part de la clientèle se situe à l'étranger. Les contenus ? La langue serait l'approche la plus simple, mais c'est effectivement simpliste. Autour de la religion, il y a des sites non arabes destinés à des non musulmans, ou des sites arabes dans d'autres langues. On constate néanmoins que la révolution de l'information dans le monde arabe est une réalité, même si celui-ci n'est pas encore entré dans l'ère numérique. La rand corporation affirme qu'Israël et la Turquie seraient les seuls "pays démocratiques" (sic) qui seraient intégrés.


Apparemment, il n'existe pas !

Le PNUD a établi un rapport sur les libertés et la démocratie, et un autre sur le rôle des femmes (dont la publication devrait intervenir dans le courant de l'année). Il est conçu par des experts arabes. Seulement 2,5% de la population utiliserait Internet et le monde arabe serait à la traîne de la planète dans le développement de ces technologies.

Et pourtant c'est une réalité...

Elaph.com semble penser que l'on serait plutôt aux alentours de 6 pour mille de l'offre mondiale, pour 3,1% à l'Internet italien, et 2,5% au portugais. Il y a souvent des accès internet via des cybercafés. C'est un public jeune (70% des usagers ont entre 20 et 30 ans) où les femmes on une part importante (1 personne sur 4), ce qui n'est pas mal. En France on n'est pas à la parité... Il y a intégration de la nouvelle technique aux pratiques culturelles. Un jeune cairote passe plus de temps devant son ordinateur ou sa console que devant la télé... Quand on sait le rôle que jouent les chaînes arabes, c'est intéressant. Il y a un renversement des habitudes culturelles.

C'est un paysage très contrasté qui est en évolution rapide. Pour 300 millions d'habitants répartis dans 22 pays, on trouve une multitude de petits fournisseurs, pas moins de 40 opérateurs de téléphonie et 20 pour le fixe, en plus de 300 ISP, et de plus de 100 chaînes satellite et radios FM.

14 millions d'internautes soit 5% de la population (+du double du rapport du PNUD, d'il y a deux ans). Les taux de pénétration sont parmi les plus hauts du monde pour quelques pays de la région (les Emirats par exemple). Des raisons économiques (Mauritanie, Soudan) ou politique (Irak, Palestine) peuvent expliquer les retards. La Tunisie, l'Algérie avancent, l'Egypte aussi (+20% par an). 650000 d'abonnés en 2003. 2 millions en 2008, soit 6 millions d'utilisateurs.


Deux dates clés (à placer dans la "longue histoire" des TIC arabes).


La numérisation de l'arabe date de la fin des années 70. On trouve alors des Quotidiens pan-arabes ou pan-islamiques. 1995, marque le lancement d'Explorer 5.5, compatible. L'intérêt d'Explorer 5 est d'avoir facilité la navigation pour les sites en arabe. 1999, est l'année de l'entrée de l'Arabie Saoudite sur le réseau mondial. Poids économique et démographique, en plus de son dynamisme sur le terrain des enjeux culturels. Les impératifs économiques, en général, et financiers, en particulier, ont rendu le cloisonnement impossible. On note un retrait de Mac sur les systèmes pré-presse ou professionnels. On note également un renversement des flux, une appropriation de l'outil et une démocratisation de la technique. De manière bourgeonnante, le monde arabe se met à produire du contenu. Les professionnels arabes trouvent des emplois sur le terrain, quitte à aller d'un pays à l'autre. L'outil est largement plus présent. Même des analphabètes peuvent utilisent les chats (sauf dans certains pays comme la Libye). Cela est comptabilisé sur la bande passante et fait partie des flux, ce qui n'est pas le cas en France (et devrait d'ailleurs l'être, pour que la comptabilisation soit plus équitable).

Internet et les puissances publiques.

Le développement d'Internet passe par la puissance publique pour laquelle il serait un "service public". Des dirigeants plus jeunes arrivent au pouvoir (Maroc avec Mohammed VI, Jordanie avec le roi Abdallah, Syrie avec Bashar El Assad) et ils ont des liens directs ou indirects avec les nouvelles technologies.
La censure existe : on trouve des zone sombres dans un paysage en demi-teintes (Arabie Saoudite, Tunisie, Syrie, ...). Tout n'est pas interdit en Arabie Saoudite, ou ailleurs, mais le contrôle policier paraît gagner du terrain, en Egypte notamment (modification de la charte des cafés internet), au Koweit ou à Bahrein, où on pratique un renforcement du contrôle des usages, en particulier vis-à-vis des cafés politiques. C'est immédiatement devenu un enjeu de pouvoir, comme pour le Minitel. On trouve néanmoins des politiques de collaboration l'état et le secteur privé. On remarque, d'ailleurs, que le contrôle policier se fait sur les nœuds de communication, avant l'accès des fournisseurs eux-mêmes.


Bilan Provisoire

C'est un désert avec des oasis. Les obstacles sont plus ou moins insurmontables. On note un retard de l'éducation (que l'on pourra préciser). Les coûts économiques sont handicapants (multipliés par certaines décisions politiques, comme en Syrie avec Cisco et les USA). Les utilisateurs ont appris à s'appuyer sur un système D "efficace". Les PC sont surexploités. L'intégration régionale est faible en termes de marché. Celui-ci existe, mais il est largement insuffisant.

On note aujourd'hui des signes encourageants. L'arabisation se poursuit. C'est un signe (les grands s'arabisent, portails, moteurs, grands médias) et c'est un vecteur (cette technique est sortie de sa tour d'Ivoire). L'apport démocratique du numérique commence à jouer un rôle.




Y a t-il une Révolution internet ?


Non sur le plan médiatique, social, économique, politique, mais Internet est néanmoins un vecteur de mutations profondes (la massification de l'enseignement supérieur, de 5 à 50% parfois). La massification de la culture, avec un accès des femmes, et une entrée massive, elle aussi, dans les marchés de la consommation, La massification de la communication concerne 15 millions de personnes. Al Jazeera est regardée par 50 millions de personnes pour 5 millions sur Internet. Al Arabia se situe à un tiers de cette audience. La massification de l'information devient une réalité quand on constate le développement des médias satellitaires, mais aussi celui d'Internet...


Une question ouverte sur le XXIe siècle

Il y a, en définitive, un balancement dialectique entre cultuel et culturel. Ce qui revient à placer l'arabité face à l'Islam. Quel espace politique arabe peut émerger ? Quelle traduction politique la communauté rêvée arabe va t-elle permettre ? C'est un espace qui sera investi par les progressistes, mais il l'est actuellement par les plus extrémistes des religieux ou des nationalistes, avec les conséquences que nous observons depuis plusieurs années... Quand l'Islam éclairé investira t-il le Net ?


Enjeux Sociaux, Culturels et Economiques des technologies de l'Information et de la communication dans le Monde Arabe


Séminaire CNRS
Laboratoire de communication et politique
Avril 2005


INFORMATIQUE SANS FRONTIERES contact/contact us

Paris
France
Europe
UniversitÈs
Infos
Contact